Manque de sommeil : reprenez le contrôle de votre lit !

10 à 20% de la population souffrent d'insomnie chronique. Avec des conséquences terribles. Dormir moins de 6 heures par nuit peut déclencher infarctus, diabète, dépression... Et si l'ennemi de notre sommeil était d'abord nous-même : on ne fait pas la coupure nécessaire à l'endormissement. Stop aux écrans au plumard ! Le docteur Isabelle Lambert, neurologue et responsable du Centre du Sommeil à l'Hôpital de la Timone (APHM), explique comment reprendre le contrôle. Bonne nouvelle : un médicament ciblant les insomnies devrait arriver en France.

Santé

Les troubles du sommeil sont-ils fréquents voire en augmentation parmi la population française ?

Docteur Isabelle Lambert : Ils sont très fréquents. Si l’on considère l’insomnie chronique – c’est-à-dire le fait de mal dormir la nuit, de se réveiller ou d’avoir des difficultés pour s’endormir et d’être fatigué dans la journée -, c’est environ 10 à 20% de la population. Mais on a aussi un problème : les personnes dorment moins que ce qu’elles devraient biologiquement. Il y a d’autres pathologies comme le syndrome d’apnée du sommeil, qui représente 4 à 5% dans la population générale. Le syndrome des jambes sans repos est également fréquent.

La première grossesse fatale au sommeil des femmes

Y a-t-il un âge où les personnes sont particulièrement sujettes aux troubles du sommeil ?

Si on parle de l’insomnie, ça touche plutôt l’adulte, plutôt les femmes. Le sommeil s’allégeant avec l’âge, les personnes âgées peuvent avoir plus de problèmes d’insomnie également. Mais l’insomnie peut arriver dès l’âge adulte. Chez les femmes, cela va souvent coïncider avec la naissance de leur premier enfant notamment. Le syndrome d’apnée du sommeil va toucher plutôt les personnes de plus de 50 ans.

On dort systématiquement plus mal en vieillissant ?

De façon générale, le sommeil a tendance à être un peu moins profond, avec plus d’éveil la nuit. En général, les personnes âgées, après 70 ans, vont spontanément refaire une petite sieste en début d’après-midi sans que ce soit pour autant anormal.

Moins de 6h de sommeil = grand danger

A partir de quelle durée de sommeil, ou de quelle mauvaise qualité de sommeil, cela peut devenir un sérieux problème pour notre santé ?

Cela dépend de notre besoin de sommeil physiologique, que l’on ne peut déterminer avec précision à l’échelle individuelle. Quand on est enfant, au primaire, il faudrait dormir 10 à 11 heures par nuit. Un adulte en général est autour de 7 à 8 heures par nuit concernant son besoin de sommeil. Mais on a des différences entre les personnes. Des courts dormeurs ont besoin de moins de sommeil et ils sont très bien comme ça, ils n’ont jamais besoin de faire de grasse matinée. Et on a des longs dormeurs qui ont un besoin de sommeil plus important.

On sait que si on est en dessous de 6 heures par nuit, il y a des conséquences mesurables sur la santé, et déjà sur la survie, sur les pathologies cardiovasculaires – il y a plus d’infarctus du myocarde, plus d’hypertension artérielle, plus de diabète. Sur le plan métabolique, on sait qu’à l’échelle d’une population, dormir moins de 6 heures a des conséquences sévères sur la santé. Et si on dort moins que son propre besoin physiologique, on peut être somnolent dans la journée. C’est très important de l’identifier car cela peut donner lieu à des accidents de la route notamment. Et cela peut jouer aussi sur l’humeur et donner des dépressions.

Gare au café, et vive le sport !

Quelles sont les causes les plus courantes ? L’anxiété, le manque d’exercice physique, un environnement perturbé, ou alors des causes physiologiques ?

Concernant l’insomnie chronique qui est le trouble du sommeil le plus fréquent, où les personnes sont trop éveillées la nuit, c’est souvent la conséquence de plusieurs facteurs. Peut-être d’une prédisposition génétique avec des personnes qui ont un sommeil naturellement plus léger. Puis il y a des facteurs, des éléments de vie, puis des habitudes de vie qui vont entretenir le problème. Ces personnes souffrant d’insomnie peuvent essayer de dormir plus que ce dont elles ont besoin, donc passer plus de temps au lit, être dans le lit en regardant les écrans, en faisant autre chose que dormir. Ce qui va perturber les habitudes de sommeil. Elles vont essayer de faire de siestes alors qu’elles ne vont pas arriver à dormir, et avoir un rythme de vie assez irrégulier.

Ce qui va participer à cet hyper éveil, c’est sûrement de l’anxiété mais il n’y a pas forcément un trouble anxieux associé à l’insomnie. Egalement la prise de stimulants, de caféine, le fait de ne pas faire assez de sport notamment, car il améliore le sommeil. On a un mélange dans cette société où on est très, très connectés, notamment avec l’usage des écrans le soir, l’usage de stimulants, la sédentarité, le stress, tout cela sur des terrains propices va donner de l’insomnie, qui va diminuer la qualité de vie de ces personnes.

Le lit, c’est pour dormir et faire l’amour

Pour résumer, quels sont vos conseils pour passer une bonne nuit ?

Essayer d’avoir un rythme de vie le plus régulier possible, même s’il ne s’agit pas de s’empêcher de vivre pour dormir. Il faut passer au lit un temps qui correspond à peu près à notre besoin de sommeil. Il ne faut pas passer trop de temps au lit. Car si on passe plus de temps au lit que notre besoin de dormir, le sommeil au contraire va se fragmenter. On va se réveiller plus souvent la nuit. On ne doit pas passer plus de 8 heures au lit quand on est adulte. Une activité sportive régulière peut améliorer le sommeil. Si on a tendance à beaucoup travailler, il faut s’accorder un sas pour couper de l’activité intellectuelle de la journée. Ce n’est pas juste avant de dormir qu’il faut lire ses mails, se préoccuper de la liste de courses du lendemain ! Il faut prévoir un temps de déconnexion pour aller dormir.

C’est-à-dire se regarder un bon film, lire un livre ?

Il ne faut pas que ce soit trop stimulant. Les films oui mais pas sur des tablettes, ni que ce soit au lit. Ce temps au lit doit être associé au sommeil et à la vie intime en couple. Il ne faut pas passer sa vie au lit pour bien dormir. Au contraire ! C’est une fausse idée.

Médicaments hypnotiques : oui mais…

Des millions de personnes prennent des médicaments prescrits par leur médecin pour dormir et ne peuvent plus s’en passer. Est-ce un moindre mal, et sinon comment se déshabituer ?

Le problème des médicaments hypnotiques est qu’à l’heure actuelle, on a des médicaments seulement pour l’insomnie aiguë. Et ils ne doivent être pris que pour quelques semaines maximum. Pour les personnes qui ont une insomnie chronique, si on ne la traite pas avec un traitement de référence qui est une thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (en quelque sorte une rééducation du sommeil), si cette rééducation n’est pas effectuée, ce sera difficile d’enlever ces médicaments. Ils ont leur place dans la prise en charge, mais plutôt sur le court terme.

Il y a un facteur de stress, de vie, qui va aggraver cette hypervigilance la nuit, et à ce moment-là on peut les prendre de temps en temps de façon transitoire. On espère qu’à terme la prise en charge de l’insomnie chronique sera bien plus développée pour pouvoir permettre le sevrage de ces traitements. Et (on espère développer) l’éducation, l’information aux médecins généralistes sur l’usage et les outils qu’ils peuvent avoir à disposition pour prendre en charge ces insomnies chroniques. C’est quelque chose qui n’est malheureusement pas développé.

Un médicament contre l’insomnie va arriver

On aura peut-être bientôt un médicament (déjà commercialisé aux Etats-Unis) contre l’insomnie chronique en France ?

Il existe un médicament qui est un inhibiteur d’un des neuromédiateurs de l’éveil qui va probablement arriver sur le marché ces prochaines années. Ce serait le premier médicament indiqué pour l’insomnie chronique. Pour le moment, on n’a pas l’expérience de ce médicament, donc on ne peut bien en parler. Ce qui est intéressant, c’est qu’il lutterait spécifiquement contre cet hyper éveil. Je pense que ce médicament, dont on n’a pas encore les modalités de prescription, ne doit pas faire oublier qu’il y a toute une prise en charge non médicamenteuse dans l’insomnie chronique. Il ne faut surtout pas croire que ça va être un coup de baguette magique qui va permettre aux insomniaques de ne plus l’être !

L’insomnie est un problème multidimensionnel et pour lequel il faut une prise en charge prenant en compte aussi le mode de vie, les stimulants dans la journée. Ce médicament peut être une aide très précieuse. Mais on n’a pas les informations pour savoir pour quelles indications et dans quelle mesure il sera prescrit.

Plantes et tisanes, c’est bidon ?

La phytothérapie, les tisanes, ce sont des choses qui fonctionnent pour mieux dormir ?

On n’a pas beaucoup d’études là-dessus. Généralement, ça va plutôt concerner les cas d’insomnies légères. La mélatonine est largement prescrite mais ce n’est pas un traitement de l’insomnie chronique, donc c’est plutôt un traitement pour les troubles de l’horloge biologique. Comme pour le jet-lag, ce décalage du sommeil quand on a fait un voyage trans-méridien. Ces prises en charge peuvent aider mais on n’a pas un niveau de preuves très important.

Dans tous les cas, la prise en charge de l’insomnie – qui a fait ses preuves sur le long cours – ce sont des techniques comportementales comme la restriction du temps passé au lit. Plus on passe de temps au lit, plus le sommeil va se fragmenter. Moins on passe de temps au lit, plus on va accumuler ce qu’on appelle de la « pression de sommeil » dans la journée, de la fatigue en quelque sorte. Ce qui va faire que le sommeil de nuit va être plus profond et plus continu. Ces méthodes non médicamenteuses ont fait leurs preuves contre l’insomnie chronique et ce sera très bienvenu si on a un médicament pour compléter pour les personnes chez qui ce n’est pas suffisamment efficace ou qui résistent aux traitements proposés.

cet article vous a plu ?

Donnez nous votre avis

Average rating / 5. Vote count:

No votes so far! Be the first to rate this post.

Partagez vos commentaires.