L’obésité est devenue un sujet majeur de santé publique, y compris en France. On dit que 17% des adultes sont en situation d’obésité et 30% sont en surpoids. Or, on le sait, le surpoids et l’obésité sont des facteurs favorisant les maladies cardiovasculaires, les cancers ou encore les problèmes ostéo-articulaires. Le problème atteint une telle ampleur que depuis 2 ans, l’Organisation mondiale de la Santé alerte sur une « épidémie d’obésité » en Europe. On parle même de l’arrivée de médicaments quasi miraculeux pour maigrir. A-t-on raison d’être aussi inquiets et même alarmistes concernant la vague d’obésité en France?
Docteur Virginie Castera : Oui, je pense qu’on a raison d’être inquiets. Tous les chiffres de prévalence de l’obésité et du surpoids sont malheureusement en constante augmentation. On a une étude en France qui s’appelle l’étude Obépi qui existe depuis 1997 et qui faisait un point sur le taux d’obésité, de surpoids en France tous les 3 ans même si elle a été interrompue entre 2012 et 2020. Les derniers chiffres que l’on a datent de 2020, ils montrent que l’augmentation de la prévalence de l’obésité et du surpoids n’a cessé de progresser en France. Effectivement 17% de la population est en situation d’obésité.
1 adulte sur 2 est trop gros
Le surpoids a tendance un petit peu à se stabiliser, mais l’obésité augmente. Ce qui fait qu’au total, on a presque 50% de la population française qui présente des problèmes de poids. Il touche aussi des franges les plus graves de l’obésité, puisqu’on a une augmentation de ce qu’on appelle l’obésité massive ou morbide. Ce sont les IMC (indice de masse corporelle), c’est-à-dire le rapport du poids sur la taille au carré, de plus de 40, qui ne cessent aussi de progresser.
Pouvez-vous préciser la différence entre obésité et surpoids ?
La définition de l’obésité ou du surpoids ne se base que sur un critère qui est l’indice de masse corporelle. L’IMC donc c’est son poids en kilos divisé par sa taille en mètre au carré. Un exemple : 80 kilos divisés par 1,60 mètre divisé encore par 1,60. Et ça donne un IMC autour de 28 ou 29. Donc entre 25 et 30 kg par mètre carré d’IMC, on parle de surpoids. Au-delà de 30, on est en situation d’obésité. Et dans cette situation d’obésité, classiquement on décrivait 3 grades : 30 à 35 pour une obésité modérée, 35 à 40 pour une obésité sévère et au-delà de 40 c’est une obésité morbide. Ce n’est pas un très joli terme mais on l’appelle morbide parce que c’est là où il y a le plus de complications théoriques.
Calculer l’IMC n’est pas suffisant pour apprécier l’obésité
Cette définition de l’obésité est en train d’évoluer. Parce qu’on est en train de se rendre compte que le critère poids sur taille n’est pas le critère finalement qui devrait uniquement être pris en compte. On doit, dans l’évaluation d’un patient en situation de surpoids ou d’obésité, tenir compte d’un certain nombre d’autres paramètres comme les retentissements éventuellement médicaux, les retentissements psychologiques, la qualité de vie, l’origine de cette obésité, la trajectoire pondérale du patient, donc son histoire pondérale.
La HAS (Haute Autorité de Santé) propose depuis 2022 de reclasser l’obésité selon 3 grades en fonction de 7 paramètres et en fonction des cas. Mais pour le grand public c’est vrai qu’aujourd’hui on reste sur la notion d’IMC, mais je pense que ça va évoluer.
Obésité, infarctus et diabète vont bien ensemble
Ce qui compte aussi dans la maladie obésité, indépendamment de ces retentissements dont je vous ai parlé, des origines, c’est aussi la quantité de masse grasse qui occupe le corps d’une personne. On a des outils pour mesurer cette quantité de masse grasse et le nombre d’adipocytes, c’est-à-dire les cellules graisseuses. C’est ce qui va générer aussi et conditionner un peu ces nouvelles définitions.
Quelles sont les pathologies favorisées par l’obésité ?
Dans la prise en compte d’un patient en situation d’obésité, la première chose à laquelle il faut qu’on s’attache, c’est quel est le retentissement de cette obésité pour sa santé. En tant que spécialistes de l’obésité, ce n’est pas tant le critère esthétique qui va nous intéresser, mais c’est savoir de quelles maladies potentiellement il peut être atteint. Au premier rang ce sont les maladies cardiovasculaires, donc les infarctus notamment du myocarde, les insuffisances cardiaques. Elles sont suivies de très près par le diabète de type 2, qu’on appelait avant le diabète gras, qui est le diabète du sujet mûr, en surpoids, donc un diabète qui se traite par médicament.
Obésité et apnée du sommeil : risque de mort subite
Il est suivi encore de très près par le syndrome des apnées du sommeil. Il passe assez inaperçu parce qu’on l’oublie un petit peu parfois – parce que ça se passe la nuit. Ce sont des patients qui s’arrêtent de respirer la nuit, qui font des apnées réelles, ce qui est très dangereux pour le risque de mort subite. Ce sont des patients qui ronflent, qui ont des somnolences dans la journée. Il y a une très, très forte incidence du syndrome des apnées du sommeil chez les patients en situation d’obésité qu’on oublie parfois.
Après il faut suivre les maladies hépatiques, notamment ce qu’on appelle la MASH, la maladie métabolique du foie. Cette stéatose hépatique est la première cause de de greffe hépatique. C’est vraiment une conséquence de l’obésité. C’est la première cause de greffe dans le monde, donc les gens sont greffés du foie à cause de ce « foie gras » qui s’arrête de marcher, qui arrive au stade de la cirrhose. Et puis, il y a les conséquences sur les os, ostéo-articulaires.
Et puis ce dont on ne parle peut-être pas assez, qui nous tient à cœur, et c’est la raison pour laquelle on travaille avec des psychologues, c’est tout le retentissement sur la qualité de vie et et toute la psyché, le côté psychologique et les difficultés générées par cette obésité au niveau psychologique pour le patient.
Les obèses meurent plus tôt
Vous ne parlez pas de l’impact de l’obésité sur les cancers. C’est volontaire ?
Effectivement, il y a une augmentation de l’incidence des cancers chez les patients en situation d’obésité qui sont plus atteints que la population générale. Mais on va dire que les modalités de dépistage à ce stade ne sont pas différentes de celles de la population générale. On reste sur les rythmes de surveillance habituels, les mêmes que pour quelqu’un qui ne serait pas en situation d’obésité, de surpoids. Et puis finalement, dans la liste des complications, ce n’est pas celles qui apparaissent au premier plan.
On le disait, 17% de la population adulte en France est en situation d’obésité, donc quasiment 1 adulte sur 5. Dans une précédente chronique, un chirurgien affirmait que les personnes obèses ont une espérance de vie réduite d’une dizaine d’années. Vous confirmez qu’on meurt vraiment plus tôt ?
En fait, on meurt plus tôt du fait des complications. C’est-à-dire que ces maladies cardiovasculaires, le diabète, les maladies hépatiques, les apnées du sommeil sont des causes très, très fréquentes de mortalité. Et effectivement, l’espérance de vie est réduite chez les patients en situation d’obésité. Notre rôle de médecin, une fois de plus, est d’essayer de lutter contre ce phénomène d’obésité, et non pas à des vues esthétiques mais vraiment à des vues de prévention de santé.
Le surpoids se joue déjà dans l’utérus de maman
Quelles sont les causes, finalement, de cette propension à grossir puisque les gens sont de plus en plus gros dans notre pays, dans notre société ?
Les causes sont variées, et multiples. Il y a la transmission malheureusement du phénomène obésité qui peut être un peu héréditaire. Alors ce n’est pas génétique au sens où il n’y a pas un gène en particulier – ça existe les obésités génétiques, mais c’est extrêmement rare. En fait, c’est une conjonction de facteurs de génétique et d’épigénétique, ce qui va moduler un petit peu l’expression des gènes qui est en train de se transmettre de génération en génération. Donc ça se joue dès la vie in utéro.
Vous savez peut-être qu’on parle des 300 jours de la vie d’un enfant, les 300 premiers jours, mais qui commencent le premier jour de la conception, quand ils sont dans l’utérus de la maman et qui déterminent déjà le métabolisme, le poids futur. Donc il y a cette composante de transmission héréditaire.
Bien entendu il y a des composantes environnementales, avec probablement les perturbateurs endocriniens qui ont un rôle sur l’obésité. Et quand on parle d’environnement, on parle d’environnement au sens large, c’est-à-dire un accès facile à la nourriture, de l’alimentation transformée. Ce sont des personnes, des populations, qui ont moins tendance à cuisiner, qui vont aller à la facilité, ce qui est parfois normal compte tenu du mode de vie qu’on a. Elles font que ça participe à ce qu’on appelle la malbouffe et qui dès l’enfance engendre une prise de poids importante.
Notre société malade de la sédentarité
La sédentarité joue aussi un rôle très, très important là-dedans. On sait que le temps passé devant les écrans, notamment chez les enfants, augmente beaucoup, et même chez les adultes. Ces facteurs là – c’est-à-dire à la fois des phénomènes héréditaires, des phénomènes environnementaux et des phénomènes de sédentarité – font qu’on est dans une société où l’obésité ne cesse de s’accroître.
Les hommes et les femmes sont-ils égaux devant l’obésité?
Pas tout à fait. Paradoxalement, les femmes sont plus souvent obèses et les hommes sont plus souvent en surpoids. Il y a des petites différences de quelques pourcents, qui ne sont pas considérables. 16,5% des hommes sont obèses et 18,5% des femmes. Concernant le surpoids, on est plutôt sur un ratio de 32% de surpoids chez les hommes et 28% chez les femmes. En tant que spécialistes de l’obésité, on est surtout confrontés à des patientes et on a 80% de notre patientèle qui sont des femmes. Mais on ne sait pas pourquoi plus de femmes sont obèses.
Simplifier la prise en charge
Vous dirigez le Centre de l’obésité de l’hôpital Saint Joseph à Marseille. Est-il facile en France d’être pris en charge pour être traité pour son obésité ?
Pour préparer l’interview, je suis moi-même allée sur internet. Et j’ai tapé « prise en charge de l’obésité dans des maisons de santé ». Finalement je trouve qu’il y a probablement beaucoup de choses qui se font. Il y a beaucoup d’initiatives locales. Mais ce n’est pas si simple de trouver la porte d’entrée. Je me suis dit qu’il fallait peut-être qu’on simplifie les parcours de prise en charge et que ce soit beaucoup plus accessible.
Dans un monde idéal, j’en parlerais peut-être à la mairie de Marseille parce qu’on va faire des colloques sur l’amélioration de la santé des femmes sur le territoire, prochainement. Il faudrait presque qu’il y ait des petites maisons ou des petites cabanes, vous voyez sur l’avenue du Prado par exemple, à Marseille, où on dirait « Venez parler aux nutritionnistes, voilà ce qu’on peut vous proposer. On peut vous proposer de l’activité physique. » Par exemple, dans plein de mairies de Marseille, l’activité physique est gratuite pour les seniors de plus de 65 ans. Plein de gens ne le savent pas forcément. Etre senior, ça peut aussi être en situation d’obésité et faire de l’activité physique. Les informations ne sont pas assez accessibles.
Votre généraliste peut et doit vous aider
Est-ce qu’un généraliste va avoir le temps, va savoir quoi faire si une personne vient le voir en lui disant » je suis trop gros, il faut me prendre en charge » ?
C’est très difficile pour les médecins généralistes, les médecins traitants, parce qu’ils sont souvent pris par le temps. Sur une consultation où le patient va venir consulter pour un autre motif, aborder la question de l’obésité, c’est souvent complexe. S’il y a un message à faire passer au public, c’est que si vous avez une problématique par rapport à ça, parlez en à votre médecin traitant. Parce que si lui-même n’a pas les ressources, il sera peut-être justement en mesure de vous proposer un suivi avec quelqu’un qui a l’habitude de prendre en charge cette pathologie. Parce que c’est une pathologie, c’est une maladie chronique; ça devrait être reconnu comme une maladie chronique à mon sens, comme le diabète ou comme l’hypertension artérielle.
Les médecins doivent parler aux patients de leur surpoids
Et puis le rôle du médecin aussi, c’est peut-être de poser la question. Parfois, il peut y avoir une réticence à poser la question aux gens, les mettre dans une situation un peu délicate. On les trouve trop gros, mais on ne sait pas trop comment faire. Je pense que les médecins doivent aussi peut-être spontanément dire « Ecoutez, je constate que vous avez un IMC à tant, est-ce que c’est un problème pour vous, est-ce que vous souhaitez qu’on en parle ? »
Moi je ne fais pas que de l’obésité, je m’occupe aussi de problèmes thyroïdiens qui n’ont pas forcément de lien avec les problèmes de poids. Et souvent, quand j’ai des patientes en situation d’obésité qui viennent me voir pour autre chose, je leur pose la question : « Est-ce que vous voulez qu’on aborde la question du poids ? » Et à ce moment-là, on voit bien où ça débouche. Parfois il y a des patients qui ne sont pas enclins à aborder le sujet tout de suite. Mais il faut poser la question.
L’obésité perturbe la fertilité des jeunes femmes
Justement, qu’est-ce qui provoque le déclic chez les patients ou patientes qui viennent vous voir ?
Ce sont souvent les problématiques de santé. « J’ai fait un infarctus et je me rends compte que mon poids pose problème ». Ou bien, « j’ai des douleurs articulaires qui font que je ne peux plus me mouvoir comme je veux ». Ou « on m’a dit de mettre une machine pour les apnées du sommeil », ce qui est très, très invasif, cette machine portée toute la nuit pour aider les patients à respirer. Donc ça, ça peut être un déclic.
Il y a un élément important dont on n’a pas parlé dans ce que j’appelle les comorbidités, c’est la fertilité. Beaucoup de patientes viennent nous consulter parce que l’obésité est responsable d’une partie d’infertilité chez une grande partie de la population. L’accès par exemple à la PMA (NDLR : procréation médicalement assistée) ne va être autorisé que pour des patientes qui vont avoir un IMC souvent inférieur à moins de 35. Donc le désir de grossesse – et l’infertilité – va être un motif de consultation assez fréquent chez les patientes qui viennent en âge de procréer.
Maigrir pour s’insérer dans la société et au travail
Il y a un autre motif assez fréquent chez les jeunes gens, les sorties d’adolescence vers 20 ans où vraiment il y a des difficultés d’insertion dans la vie professionnelle parce qu’il y a probablement une grossophobie. Et ils comprennent à ce moment-là que leur poids et l’image qu’ils peuvent renvoyer, de manière tout à fait injuste d’ailleurs, est parfois bloquante pour pouvoir rentrer dans la vie professionnelle, amicale, affective. Donc ça, ce peut être un déclic aussi.
Maigrir pour s’occuper de ses petits-enfants
La dernière frange, ce sont les grands-mères qui ne peuvent pas s’occuper de leurs petits-enfants parce qu’elles se sentent trop handicapées par leur poids et leur maladie. On a envie de continuer à pouvoir faire des choses et on n’y arrive pas.
Vous n’avez pas l’impression parfois de vider la mer avec une petite cuillère parce que de plus en plus de gens sont en surpoids, en situation d’obésité ?
Nous avons la chance à l’hôpital Saint Joseph d’avoir une équipe qui est extrêmement entraînée. On travaille avec des diététiciens, des médecins nutritionnistes, des psychologues, des coachs sportifs. A notre échelle, ce qu’on fait me semble relativement satisfaisant. Il est évident que je ne prendrai pas en charge les 18% de la population française ou marseillaise. On a des chiffres un petit peu plus faibles d’ailleurs en Provence que dans le nord de la France, peut-être grâce au régime méditerranéen. Mais je ne pourrai évidemment pas prendre en charge tout le monde. Mais il y a des solutions aujourd’hui qui existent et qu’on peut proposer.
Les solutions pour perdre du poids de 5 à 40% !
Venons en aux solutions alors ! On sait que la chirurgie bariatrique – quand on réduit le volume de l’estomac – est très efficace, notamment. Est-ce que vous la préconisez ?
Les solutions sont à mon sens aujourd’hui de 3 types. Le premier moyen de prendre en charge ces patients, c’est ce qu’on appelle les mesures hygiéno diététiques, ça va être reprendre une alimentation équilibrée et une activité physique. Ce n’est pas forcément du sport, ça peut être juste bouger de la manière dont on peut. Malheureusement les mesures hygiéno diététiques, ça va nous faire perdre que 5 à 10% de son poids. Donc si vous prenez une personne qui fait 100 kilos, elle ne sortira pas de la zone obésité mais c’est la base de tout.
« J’ai des patients qui pèsent plus de 200 kilos »
En 2nde intention et on en parlera après, ce sont les traitements médicamenteux, ils vont faire perdre entre 10 et 20% de son poids. Et puis en dernière ligne on a la chirurgie bariatrique. Elle va faire perdre entre 20 et 40% de son poids. Donc en fonction du niveau où on se situe, les solutions vont être variables. Nous avons en ce moment des patients hospitalisés qui pèsent malheureusement plus de 200 kilos pour 1,80m. Si je ne les opère pas, si je ne leur propose pas une chirurgie bariatrique, il est probable que je n’arriverai jamais à leur faire perdre suffisamment de poids. Donc oui à la chirurgie, dans certaines situations et de manière bien conduite.
Nouveaux médicaments miracles… et très chers !
On va arriver justement aux médicaments, à ce nouveau médicament vendu en France depuis octobre dernier sur ordonnance, mais qui n’est pas remboursé par l’Assurance maladie, qui semble faire des miracles pour maigrir. Il s’appelle le Wegovy. Alors c’est un dérivé d’un antidiabétique très connu aux États-Unis – l’Ozempic – et qui là-bas cartonne littéralement. C’est vraiment aussi efficace qu’on le dit ?
Alors oui, c’est efficace. Il se trouve que comme vous le disiez, le Wegovy donc – qui est la molécule s’appelle le sémaglutide – est une molécule que nous utilisons sous forme d’Ozempic depuis au moins une dizaine d’années chez les patients diabétiques de type 2. Nous les endocrinologues, spécialisés en diabétologie par ailleurs, on est bien habitué à ces traitements et ça marche.
Alors ça marche très bien pour le diabète et ça marche très bien pour le poids. Et ça marche même peut-être mieux pour le poids chez les non diabétiques que chez les diabétiques. Et quand on regarde les études qui sont publiées, effectivement on a des pertes de poids pour le sémaglutide qui sont de l’ordre de 15% à peu près en moyenne de perte de poids sur une durée de 6 mois à un an. Donc, effectivement, ça fonctionne.
Comme vous le disiez, ce n’est pas remboursé, à notre grand dam. Parce qu’on pense qu’il y a des personnes qui mériteraient vraiment de bénéficier de ce traitement remboursé.
Effets cardiovasculaires
Je crois que ça coûte à peu près 300€ par mois…
Oui. Si on a des bonnes pharmacies, on arrive à trouver ça un petit peu moins cher. C’est plutôt autour de 250 à 270€ par mois. Cette molécule, puisqu’on parle de celle-ci, le sémaglutide, a aussi fait la preuve de la diminution des complications cardiovasculaires et notamment du risque d’infarctus ou d’AVC chez des patients obèses non diabétiques qui étaient traités. Et il y a une diminution de 14% du risque vasculaire et donc ça c’est très, très intéressant. Et très tôt dans l’introduction du médicament. C’est-à-dire que c’est indépendant de la perte de poids.
Dans les 2 à 3 premiers mois, on voit les courbes qui se séparent. Les patients sous traitement font moins d’événements cardiovasculaires que les patients non traités. Et donc probablement il y a un effet propre de la molécule analogue du GLP1, puisque c’est comme ça que ça s’appelle, sur le cœur qui est très bénéfique.
Une molécule encore plus puissante…
Un patient qui aurait un antécédent d’infarctus et qui serait en situation d’obésité, il mériterait que pour lui, par exemple, ce traitement puisse peut-être être remboursé un jour. On le souhaite. Donc ça marche bien. Il y a probablement des patients qui ne sont pas répondeurs, ça, on est en train de le voir. C’est comme dans toutes les études. Ce sont des moyennes. Mais il n’y a pas que le sémaglutide.
Il y a une 2e molécule qui s’appelle le tirzépatide. Le premier n’est que GLP1 et celui-là est GIP/GLP1. Donc c’est un peu un combo si vous voulez, qui fait que ça renforce encore l’effet. Les effets de ces molécules, c’est diminuer l’envie de manger au niveau du cerveau et renforcer la sensation de satiété au niveau de l’estomac. Ce qui fait qu’on a moins faim et qu’on a moins envie de manger. Et cette 2e molécule fait perdre presque 20% de son poids. Donc c’est encore plus puissant et elle est disponible également en France.
« On a moins envie de manger »
Ce n’est pas un brûleur de graisse mais c’est quelque chose qui me donne moins envie de manger ?
Oui. Après, de fait, il y a quand même une perte de masse grasse. A force on va finir par consommer ses propres cellules graisseuses et on va perdre du poids, on va perdre du poids en masse grasse. Et contrairement à des idées qui se véhiculent sur les réseaux sociaux, on ne perd pas de masse musculaire. Si on continue à avoir une activité physique régulière, on va vraiment perdre du gras. Donc c’est intéressant. On a moins envie de manger et on consomme de sa propre graisse.
Les effets indésirables seraient limités
Ce médicament a-t-il des effets secondaires ?
Oui, comme tous les médicaments. Un médicament par définition a des effets indésirables. Le plus fréquent c’est des nausées puisque il y a cet effet de sensation de plénitude gastrique qui est renforcée. Mais les nausées passent avec le le temps. Et donc on fait des augmentations de dose progressives, de manière à ce que la tolérance soit meilleure et de plus en plus satisfaisante pour les patients. Donc il y a des patients malheureusement qui vont vomir. Dans ces cas-là on est contraint de l’arrêter parce que pour eux c’est très désagréable.
Mais il n’y a pas tellement d’autres effets indésirables, il n’y a pas grand chose d’autre à craindre. Alors il y a un petit risque de pancréatite aiguë. Donc j’évite personnellement de le prescrire chez les patients qui ont des antécédents de pancréatites. Ce qu’il faut surveiller aussi avec ces traitements, ce sont les patients qui perdent énormément de poids parce qu’il y a des très, très bons répondeurs. C’est de vérifier qu’il n’y a pas de dénutrition. Il faut quand même être dans une perte de poids raisonnable et c’est pour ça qu’il faut que ce soit encadré médicalement. Il ne faut pas faire n’importe quoi.
Peut-on arrêter ce traitement sans re-grossir ? Pas sûr…
C’est à nous, professionnels de l’obésité, de juger si la perte de poids est suffisante, si on propose un arrêt, une diminution, de faire attention que les patients ne tombent pas dans une « anorexie » physiologique, pas mentale. Qu’ils ne soient pas dénutris, ce qui entraînerait des pertes de masse maigre et des complications autres. Donc voilà : vigilance et encadrement médical.
Faut-il prendre ce médicament pendant longtemps, le prendre à vie ?
C’est la bonne question. Personnellement je n’ai pas encore la réponse. Les 2 molécules sont sorties respectivement le 15 octobre et le 15 novembre. Là, on a le retour des premiers patients à qui on a prescrit. Je pense qu’il faut quand même probablement s’engager sur une période initiale de 6 mois, un an, pour vraiment en avoir les effets. La question qui va se poser, dans les études qui ont permis la mise sur le marché de ces molécules, c’est l’arrêt des traitements.
Alimentation et activité physique : se prendre en main est indispensable
Malgré un accompagnement, il y a une reprise de poids. Mais comme je le dis souvent à mes patients, pour perdre du poids, il n’y a rien de miraculeux. La chirurgie bariatrique qu’on évoquait tout à l’heure fait perdre beaucoup plus de poids que ces traitements, elle marche très, très bien. Mais tout ça, ce ne sont pas des baguettes magiques.
Si on ne revient pas aux fondamentaux qui sont de retrouver un équilibre alimentaire et avoir une activité physique régulière, eh bien on pourra de toute façon générer des reprises de poids. Et ça c’est chez tout le monde. Donc ce sont des aides, ce sont des béquilles, ce sont des accompagnements. Mais ce n’est pas la solution miracle parce que malheureusement aujourd’hui, ça, ça n’existe pas encore.
« Nous n’avons pas d’autres traitements »
Ce médicament coûte cher, on l’a dit, ça fait un budget environ de 3 000 à 3 500€ par an. Vous proposez quand même d’autres choses aux patients qui n’auraient pas les moyens de se payer ce traitement ?
Eh bien malheureusement, nous n’avons pas d’autres traitements à leur proposer. Si ce n’est la chirurgie bariatrique mais qui peut être réservée à des situations d’obésité plus massives qui, elle, est remboursée par la Sécurité sociale. Et d’ailleurs, la raison – et c’est un peu paradoxal – pour laquelle la chirurgie bariatrique est remboursée aujourd’hui en France, c’est parce qu’il a été montré sur des grandes études que perdre du poids et maigrir grâce à la chirurgie bariatrique sauvait des vies par rapport au fait de rester en situation d’obésité.
« Faites comme vos grands-parents ! »
Que l’on soit en surpoids et bien sûr encore plus en situation d’obésité, on ressent le besoin de maigrir souvent au quotidien. Quels changements tenables sur la durée pouvez-vous recommander en matière d’hygiène de vie, d’alimentation ?
Pour l’alimentation, il ne faut pas aller vers des choses compliquées. Il faut revenir aux bases, aux fondamentaux, à ce que faisaient nos grands-parents. Alors oui, j’ai 50 ans, c’était peut-être une autre génération, mais avec une alimentation calée sur 3 repas par jour, équilibrés, dans lesquels on va aller vers des produits non transformés. C’est-à-dire retrouver le plaisir d’aller chez le primeur.
C’est ce que je fais par exemple avec mes enfants. Je leur dis « Il y a tous les légumes qui sont exposés, qu’est-ce que tu veux ? » Car c’est parfois difficile de faire manger des légumes aux enfants. Il faut retrouver les plaisirs simples avec des choses simples. Et vraiment essayer de limiter les produits de l’industrie agroalimentaire qui sont souvent beaucoup trop salés, beaucoup trop sucrés et qui en plus génèrent des envies de manger. Ça perturbe le comportement alimentaire.
« Evitez les régimes hyperprotéinés et le jeûne prolongé, c’est de l’esbroufe »
Et puis l’activité physique régulière, c’est au moins 30 minutes de marche rapide par jour. Voilà donc. Alors on ne peut pas toujours, mais ça peut être 1 heure un jour et moins le lendemain. Vraiment : revenir aux fondamentaux, éviter les régimes hyperprotéinés, éviter les jeûnes prolongés, éviter les régimes cétosiques. Avec l’expérience que j’ai de 25 ans de prise en charge de l’obésité, c’est un peu de l’esbroufe. Voilà, ça va peut-être marcher un temps, mais ça ne permet pas de retrouver un équilibre alimentaire sur la durée.
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