Nous allons parler de nos mauvaises habitudes qui favorisent notamment les maladies cardiovasculaires. Et d’abord un sujet d’actualité : entre les fêtes de fin d’année et les voeux de bonne année un peu partout, nous traversons une période généralement chargée sur le plan alimentaire. Nous consommons beaucoup d’aliments gras et sucrés, de l’alcool plus que de coutume. Est-ce un problème de se nourrir autant ?
Professeur Sophie Béliard : Effectivement. Après les fêtes de fin d’année, on enchaîne avec les galettes, puis les crêpes, voire les chocolats de Pâques. Finalement on va se retrouver avec des excès alimentaires qui sont des excès quantitatifs – donc on mange plus en quantité – et des excès qualitatifs. On mange plus gras, plus sucré, plus d’alcool. Le souci de ces excès est qu’ils vont s’étendre sur une période qui est longue, environ 3 à 4 mois : ça fait presque 1/4 de l’année avec ces excès alimentaires! C’est un souci parce que ça peut prédisposer au surpoids voire à l’obésité et aux conséquences du surpoids de l’obésité.
Si on se dépense, on ne grossit pas
Cela veut dire qu’il faut faire attention à alterner les périodes, les jours de fêtes et après on fait un peu plus attention ?
Il y a deux choses sur lesquelles on peut jouer, pour lesquelles il faut faire attention. Premièrement ce sont les apports alimentaires. Il faut quand même limiter et entre le repas de Noël, le jour de l’An, etcetera, essayer de faire un peu attention, ne pas grignoter et manger plus équilibré que lors des repas de fêtes. Et surtout il faut lutter contre la sédentarité et avoir une bonne activité physique. Tout est une question de balance. C’est-à-dire que lorsqu’on dépense tout ce qu’on absorbe, on ne grossit pas! C’est important quand même d’avoir une activité physique importante et souvent, dans ces périodes de fêtes, malheureusement on est assez sédentaire. On a plutôt tendance à être dans le canapé avec la famille et les amis que d’aller faire du vélo.
Surpoids = diabète, apnées du sommeil, infertilité chez les femmes
Tous les chiffres de santé publique l’attestent : les Français prennent du poids. Aujourd’hui on a en gros un adulte sur 2 qui est en surpoids ou en situation d’obésité. Est-ce inquiétant pour notre santé ?
Ah oui clairement ! C’est clairement inquiétant pour notre santé puisqu’on est devant une vraie épidémie de surpoids et d’obésité, en France et dans le monde entier. Et ce sont des vraies maladies qui prédisposent à des maladies plus graves comme le diabète.
Ce sont justement les maladies et les dérèglements que provoque cette prise de poids ?
Exactement. La prise de poids peut entraîner beaucoup de complications très diverses. Cela peut être du diabète, des problèmes respiratoires, des apnées du sommeil, une infertilité chez les femmes, des problèmes articulaires. Quand les articulations doivent porter beaucoup de poids, elles sont en souffrance. Effectivement beaucoup de problèmes physiques peuvent découler du surpoids et de l’obésité.
+4% de diabétiques chaque année
On parle justement souvent du mauvais cholestérol et du diabète. Constate-t-on une progression de ces maladies dans la population en général ?
On constate une augmentation. Tous les ans, le nombre de patients diabétiques augmente. Tous les ans, il y a +4% de patients diabétiques. C’est très alarmant. En France c’est quasiment 4 millions de patients qui sont diabétiques, donc qui sont traités pour le diabète. Sachant qu’il y a probablement plusieurs centaines de milliers de patients qui sont diabétiques et qui s’ignorent.
Pour l’hyper cholestérolémie, c’est très fréquent aussi, ça touche environ 1/3 de la population française et surtout des personnes âgées. Après 65 ans il y a plus d’une personne sur 2 qui a un taux de cholestérol trop élevé. Là, par contre, on est avec des chiffres de stabilité, de prévalence de l’hyper cholestérolémie. Mais ça veut dire qu’on n’arrive pas à la prendre en charge et à bien la traiter.
Malbouffe et sédentarité font flamber le diabète et l’hyper cholestérolémie
Quelle est la part de l’alimentation dans la progression de ce nombre de personnes diabétiques ou qui ont de l’hyper cholestérolémie ?
La part alimentaire, du surplus de l’alimentation et de la mauvaise qualité de l’alimentation, associée à la baisse de l’activité physique et à la sédentarité, cela explique quasiment les 3/4 des cas de diabète et d’hyper cholestérolémie. Après, il y a des facteurs génétiques prédisposant. Mais ça favorise quand même le surpoids, l’obésité et le diabète.
Cela veut dire que si je grossis, je vais forcément développer certaines pathologies comme celles-ci ?
Non, pas forcément. Parce qu’il y a un substrat génétique. Donc il faut vraiment avoir hérité de gênes familiaux. Et puis dans un environnement favorable de sédentarité et de mauvaise alimentation, avec le terrain génétique, on va développer des maladies métaboliques ou cardiovasculaires liées à l’obésité. Mais on peut voir des grands obèses sans maladie cardiovasculaire ou sans diabète.
Se faire dépister, sinon c’est trop tard
Quels sont les signes qui doivent alerter et conduire au dépistage du diabète et du cholestérol ?
Malheureusement il n’y a pas de symptômes, ni pour le diabète ni pour le cholestérol. Ce sont des maladies assez sournoises ou insidieuses. C’est-à-dire que quand on a des symptômes pour l’un ou l’autre, c’est trop tard en fait. Quand on a des symptômes pour le cholestérol, c’est qu’on est en train de faire un infarctus ou un AVC. Pour le diabète, quand on a des symptômes à type de « je bois plusieurs litres d’eau par jour ou j’urine trop », c’est que le diabète est déjà là depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Donc on est trop tard. C’est pour ça qu’il faut se faire dépister, consulter son médecin traitant et dès qu’on a des facteurs de risques – si on est en surpoids, en obésité, qu’on a de la tension artérielle, qu’on fume ou qu’il y a du diabète dans la famille par exemple, des maladies cardiovasculaires dans la famille – on doit aller voir son médecin traitant pour se faire dépister un taux de cholestérol trop élevé ou du diabète.
Comment se fait le dépistage de ces maladies ?
C’est très simple, c’est une prise de sang.
Y a-t-il un âge à partir duquel vous conseillez aux Français de faire cette prise de sang ?
Chez tous les adultes. Si on n’a aucune maladie et aucun problème dans la famille, c’est à partir de 40 ans. Si on est en obésité ou si son père a du diabète par exemple, il faut le faire avant, à l’âge adulte, une fois par an.
Conseils pour éviter ou limiter diabète et cholestérol
Quelles sont les conséquences de ces maladies ?
Pour le cholestérol, ça touche essentiellement les grosses artères; ça se dépose dans les parois artérielles et ça peut les boucher et donner un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral. Parfois ça peut toucher aussi les artères des jambes. Pour le diabète, c’est encore plus complexe; ça peut donner ces mêmes maladies cardiovasculaires mais ça peut aussi atteindre les nerfs, les yeux, la rétine. C’est une cause fréquente de baisse de l’acuité visuelle et même de cécité. Et cela peut atteindre les reins.
Est-ce que les traitements médicamenteux stabilisent ces maladies, voire les fond reculer ?
Avant de parler des traitements médicamenteux, je parlerais plutôt de la prévention. On peut prévenir les maladies si on a une prédisposition génétique à avoir du diabète, parce qu’il y en a dans toute la famille. On sait que si on reste mince et si on maintient une bonne masse musculaire avec de l’activité physique, on peut retarder l’apparition du diabète très tardivement dans la vie, voire prévenir l’apparition du diabète. Donc il est important de se situer en amont. Et pour le cholestérol, de la même façon avec des mesures diététiques bien conduites, on peut avoir une baisse de 20 ou 30% du cholestérol, ce qui est équivalent à un traitement médicamenteux. On peut faire de la prévention.
Une fois qu’on est malade, on a beaucoup de traitements, heureusement. On a une grande pharmacopée qui permet de stabiliser et de contrôler ces 2 maladies si on est bien suivi. La régression de ces maladies est compliquée mais on voit qu’avec des pertes de poids très, très importantes – qu’on peut voir dans la chirurgie de l’obésité par exemple où on peut perdre 30, 40, 50 kilos – on peut faire régresser le diabète. On voit des patients diabétiques qui ne sont plus diabétiques.
Nouvelle piqûre contre le diabète
Ce sont des traitements médicamenteux faciles à prendre ou bien qui ont des effets secondaires indésirables assez importants ?
Il y a toutes sortes de traitements. Il y a des comprimés à prendre une ou plusieurs fois par jour. Pour le diabète il y a de nouveaux médicaments avec une piqûre sous la peau toutes les semaines qui marchent très, très bien. Comme pour tous les médicaments, il peut y avoir des effets indésirables. Globalement c’est bien toléré. Ce sont des médicaments qu’on prend à vie.
Quels sont les aliments que vous pourriez conseiller de bannir de notre alimentation – je sais que les médecins n’aiment pas bien interdire !- mais en tout cas limiter fortement ? Par exemple on entend dire que le sucre ajouté dans le café, dans les gâteaux, les aliments, est un poison pour le corps…
Il y a 2 mots qu’on n’aime pas : « bannir » et « poison ». Donc il n’y a pas d’interdits alimentaires en nutrition. Effectivement, il y a des aliments qu’on peut privilégier et d’autres, non pas qu’il faut éviter, mais qu’il faut manger avec parcimonie. Evidemment, il y a par exemple les sodas qui n’apportent que du sucre rapide, qu’il faut boire avec parcimonie. Si on boit une canette de Coca par semaine, ce n’est pas très grave. Mais si on boit 3 litres de Coca par jour – ce qu’on voit actuellement chez certains jeunes – là c’est problématique.
Le sucre n’est pas un poison. Le sucre dans les gâteaux, c’est quand même un aliment plaisir, qu’on voit lors des anniversaires, lors des repas en société, qu’on peut consommer quoi ! Il faut faire attention avec l’alimentation parce que se nourrir c’est aussi un moment convivial, entre amis, en famille, et un moment de plaisir. Le tout est de rester dans la parcimonie.
Faites vos gâteaux, c’est mieux !
A part les sodas sur lesquels vous attirez l’attention, il n’y a pas d’autres aliments ?
Si ! Il y a les sodas. Et ce qu’il faut essayer de limiter le plus possible, c’est tout ce qui est produits transformés et ultra transformés, c’est-à-dire les produits tout faits que vous achetez au supermarché genre le cordon bleu, les lasagnes toutes faites, les viennoiseries, tous les produits qui ont été transformés. Le meilleur conseil pour manger sainement, c’est vraiment d’acheter les produits bruts et de les cuisiner soi-même. Y compris quand on fait un gâteau. Il vaut mieux faire son gâteau soi-même que d’acheter un gâteau tout fait. Dans le gâteau qu’on fait soi-même, il y aura toujours moins de sucre et moins de gras que dans un gâteau acheté au supermarché.
Légumes surgelés, lentilles, amandes, c’est tout bon!
A contrario pouvez-vous citer vos aliments privilégiés, faciles à consommer, pour avoir une alimentation la plus saine possible ?
Tout ce qui est céréales. Il faut vraiment limiter le pain blanc et privilégier le pain aux céréales, multi céréales, quel qu’il soit. Les fruits et les légumes. On peut essayer d’en trouver des pas trop chers même si c’est problématique en ce moment. Les légumes achetés congelés dans les magasins de surgelés sont souvent beaucoup moins chers, apportent beaucoup de fibres et c’est très bon pour la santé. Ensuite, tout ce qui est noisettes, amandes et noix, non frites et non salées, c’est recommandé pour la prévention des maladies cardiovasculaires. Une petite poignée par jour. Ce sont de bons aliments, comme tout ce qui est légumineuse – les lentilles, les pois cassés, les pois chiches… – qui apportent beaucoup de protéines, d’acides gras oméga 3, oméga 6, qui sont bons pour la santé.
Gare aux oeufs au plat, oui aux oeufs à la coque
Et si on parle des protéines, que recommandez-vous ?
On en trouve dans les œufs. Si on ne les fait pas frire, il n’y a aucun souci, on peut en consommer autant qu’on veut. On les trouve dans les poissons et dans les viandes. Pour les viandes, il faut essayer de mixer et de privilégier plutôt les viandes blanches et peu grasses. Mais on peut aussi manger de la viande rouge style bavette, qui est peu grasse. L’important c’est de mixer, de manger de tout et de se faire plaisir, d’éviter de manger entre les repas, de se faire la cuisine soi-même.
Quand vous dites de ne pas faire frire les oeufs, vous voulez dire qu’il vaut mieux privilégier l’omelette aux oeufs au plat ?
Il vaut mieux des œufs durs ou des œufs à la coque, qu’on peut manger ad libitum (NDLR : à volonté, à satiété) en fait, plutôt qu’une omelette ou des œufs frits qui apportent finalement des acides gras saturés qui sont moins bons pour la santé.
« Mangez moins gras, bougez » : c’est bidon
Voilà des années et des années qu’on répète ces préconisations, ces conseils de bonne hygiène de vie. A-t-on le bon discours pour faire passer ces informations, convaincre les gens de changer notamment leur alimentation, d’être moins sédentaires ?
C’est très compliqué et c’est toujours beaucoup plus facile de prescrire un médicament que le patient va prendre, que de changer des habitudes de vie. On le sait même pour nous-mêmes. Changer une habitude de vie, c’est très compliqué hein ! On doit mettre en œuvre beaucoup de choses pour changer ses habitudes. C’est quelque chose qui doit s’installer sur du long terme. On change les choses une par une, on ne va pas changer le comportement alimentaire d’une personne de A à Z comme ça, en une journée. Il faut prendre son temps, prendre du temps lors des consultations.
Il faut se donner des objectifs – par exemple j’essaye de ne plus grignoter le soir ou de grignoter seulement une fois par semaine et puis après on passera à autre chose. C’est vrai que ça prend du temps et c’est long. Il est clair que les messages actuels, qu’on voit sous les publicités – mangez, bougez, mangez moins gras ou sucré, ça ne marche pas du tout ! Voilà, ça n’a pas d’influence, voire ça peut avoir un effet contraire chez les jeunes. On n’a pas encore trouvé de grands messages de santé publique pour essayer de convaincre les gens. Il y a des petits outils qui aident, comme le Nutri-Score par exemple, qui peuvent aider à choisir des aliments au supermarché.
Moins de malades en ville qu’à la campagne !
Cela veut dire que quand on choisit un aliment, on regarde ce Nutri-Score et on privilégie des aliments classés A ou B ?
Le Nutri-Score pour les produits bruts, ça ne sert à rien. Mais si on veut choisir parmi dix paquets de céréales, le Nutri-Score peut aider à choisir le paquet de céréales qui sont les moins délétères pour la santé.
Et il n’est jamais trop tard pour bien faire ? Même si j’ai 70 ans, je peux m’y mettre ?
Même un petit peu, c’est mieux que rien. Ce qui a été démontré par exemple, c’est que pour lutter contre la sédentarité, marcher, se lever 5 minutes par heure, c’est efficace sur les paramètres métaboliques. Il ne faut pas rester 3 h assis. Il faut se lever, aller aux toilettes, des toutes petites choses. Après, c’est très complexe. Par exemple pour l’activité physique, c’est aussi un problème politique. C’est-à-dire que l’aménagement des villes est très important, très, très important. Il y a beaucoup d’études qui sortent, qui sont passionnantes, avec des géographes qui montrent que la façon dont les villes sont agencées, ça modifie beaucoup la pratique de l’activité physique. Et ça a des conséquence sur les maladies métaboliques. Dans les villes où on peut tout faire à pied, il y a beaucoup moins de maladies métaboliques qu’à la campagne où on prend la voiture, même si on a l’impression qu’à la campagne les gens sont plus actifs. En fait, ils font tout en voiture et ils ne marchent pas. Et Marseille, c’est une catastrophe pour tout ce qui est vélo, tout ce qui est mobilité hors voiture.
Interrogez la Pr Béliard le 31 janvier à Marseille
La Pr Sophie Béliard participera à la conférence publique « Votre coeur et vos artères ont besoin de vous », mercredi 31 janvier à 17h30. Rendez-vous à Aix-Marseille Université, jardin du Pharo, 58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille. Entrée libre. Parking en face.
Renseignements : 06 33 78 35 79
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