Marseille veut figurer sur la carte mentale des jeunes ivres des nouveaux territoires à défricher. Devenir un spot « atttractif et attracteur » pour les étudiants internationalement mobiles, les diplômés les plus qualifiés, les entrepreneurs en quête d’endroits décalés, les jeunes familles attirées par des lieux connectés. Comment ? En partant de son « ground zéro ». Beaucoup de chemin à parcourir avant de …
S’affirmer en spot universitaire « trendy ». Concourir dans la catégorie des « hub » métropolitains qui captent et retiennent les susnommés « talents » du monde. Devenir une adresse préférentielle pour les « young urban creatives »*, ces jeunes gens à l’esprit entrepreneurial qui se posent dans les lieux décalés. S’imposer parmi les « stop and go » pour les city-breakers**, ces défricheurs urbains en quête de destinations « anti-mainstream » qui aiment butiner hôtels d’avant-garde et lieux underground… Marseille, qui part du principe qu’elle est la seule métropole méditerranéenne française capable d’être un de ces lieux branchés qui harponnent, revoit sa carte génétique pour avoir l’ADN jeune. Objet : fertiliser la ville avec des équipements spécifiquement pensés pour les 18 – 35 ans.
Puisque les « millennials »*** (mot-valise secrété par le marketing qui enferme d’un seul tenant les 22 – 37 ans) semblent décidés à renverser les codes établis, aidons-les à transformer la ville, semble penser Euroméditerranée. L’établissement public d’aménagement, à la manœuvre dans le réaménagement d’un grand pan (480 ha) de la ville au Nord de Marseille, veut profiter des nombreux espaces à requalifier autour de la gare Saint-Charles, au cœur de la ZAC de la Porte d’Aix, pour y féconder un lieu qui ressemblerait à ce qu’attend cette jeunesse, que l’on dit ultra connectée et adepte du partage et du collectif. Et qui polleniserait des destinations leur garantissant « les recettes maximales » pour réussir : des lieux « d’accélération », desservis par des transports efficaces et rapides, favorisant la créativité et les rencontres, et où les logements sont économes.
Creative génération
« Cette génération investit des espaces pas encore trop organisés car c’est là qu’ils sont capables d’y créer une forme urbaine et de la commander. Nous nous sommes organisés pour répondre à ce besoin », explique Hugues Parant, le directeur général d’Euroméditerranée.
« Les choix d’implantation ont changé. Avant, on s’installait là où se trouvait l’entreprise. Désormais on cherche d’abord des endroits où il y a un bouillonnement et une qualité de vie et ensuite, on cherche le boulot, croit savoir Laure-Agnès Caradec, président de l’aménageur métropolitain, signifiant que des indicateurs qui relèvent de l’attractivité résidentielle (équipements, qualité urbaine, cadre de vie, ouverture culturelle) deviennent décisifs dans les choix de localisation. Á nous d’anticiper sur cette nouvelle façon de vivre la ville pour offrir ces espaces nouveaux. Le foncier dont on dispose est une véritable aubaine ».
Les villes dont ils s’entichent
« La vocation d’un aménageur est de déclencher, enchâsse Hugues Parant. On voit ensuite ce qui se passe du côté de l’initiative privée. L’expérience montre qu’il faut un élément déclencheur pour que des marques d’intérêts se posent sur ces objets-là. C’est ce qui s’est passé dans toutes les métropoles du monde ».
L’ex-directeur de l’établissement public de la Défense fait allusion à quelques quartiers, plus ou moins liés à des histoires compliquées, devenues ensuite de hauts-lieux de l’épanouissement entrepreneurial. Il cite volontiers Canary Wharf, le quartier d’affaires de l’Est londonien longeant la Tamise mais aussi Dumbo aux pieds du pont de Brooklyn, ancien haut-lieu des manufactures de savons et de papiers, d’où « sortent » aujourd’hui les nouvelles tendances qui innervent la culture underground si spécifique à New York (Woody Allen en a fait le théâtre de son dernier film Wheel).
Mais au palmarès des endroits dont s’entichent les « yuccies » émergent d’autres villes (souvent portuaires d’ailleurs). Ainsi de Leipzig (voir les décombres postindustriels de Plagwitz réinvestis par les designers et des start-up innovantes) ou d’Anvers (Eilandje, la zone qui entoure le vieux port industriel de la ville, devenu un lieu culturel prisé). Ou encore Rotterdam et Hambourg (Sternschanze, centre névralgique de la renaissance, qui fait de l’ombre à Berlin) et bien évidemment, Barcelone avec le quartier de Sant-Antoni. Lyon ressort également de plus en plus souvent des « carnets de voyage » grâce au renouveau de La Confluence où les bâtiments abandonnés ont été transformés en espaces à coloniser par les designers (La Sucrière, usine de sucre de style Art Deco transformée en un centre artistique).
Épiphanie des quartiers difficiles
L’épiphanie d’anciens quartiers à l’histoire plus ou moins négative, ceux qui tiennent le crayon à Marseille y croit fermement.
« Les jeunes qui visent Marseille est une évidence. Les jeunes n’ont pas aujourd’hui de lieu de convergence comme ce que l’on est en train de construire Porte d’Aix. Il faut parfois avoir la foi du charbonnier quand on est aménageur mais il n’y a pas de raisons que nous rations la marche », appuie Hugues Parant qui n’est pas sans ennemi : à Marseille, les clichés ont la dent dure et tout le pari consiste(ra) à inverser « la perception que les gens ont des lieux » en particulier et de la ville en général.
Futur rendez-vous étudiant de Marseille, lieu d’échanges dédié à la jeunesse
Pour transformer cette zone, aux franges des quartiers Nord, sans identité mais pas sans âme, où faute de plein, le vide s’y est organisé dans une impression de grand bazar (des trottoirs occupés, des commerces improvisés), les aménageurs revendiquent une méthode : la transformation par les usages. C’est la même qui a été exploitée sur tout le périmètre déjà reconfiguré : « on s’est attaqué à des zones où l’attractivité était nulle et pauvre. C’est en travaillant les usages et la perception qu’on est parvenu à y développer une centralité commerciale, culturelle, de transports et logements. Aujourd’hui, de grandes signatures internationales s’y sont ancrées », (s’) encourage-t-il.
« On a constaté que ce qui existait (des équipements universitaires) faisait sens. On a continué le mouvement en attirant un certain nombre d’objets immobiliers dont les usages sont plus tournés vers les jeunes. En renforçant cette connotation, on va forcément avoir une réponse positive du marché dans cette périphérie », défend Hugues Parant, qui préfet dans une autre vie au sein de la même région, ne cachait pas son tropisme pour le renouveau par l’entrée économique.
L’existant ? Surtout des facultés de part et d’autre de la Porte d’Aix (sciences à Saint-Charles et économie, gestion à Colbert), un certain nombre de lycées et une école de management quelque peu singulière pour abriter en son sein une chapelle dont l’aumônier est nommé par l’opus Dei et dans laquelle les enseignements inspirés de valeurs chrétiennes sont préférés à une ligne marchande dure.
5 000 étudiants
D’ici 2021, parallèlement à l’opération « Quartiers Libres – Saint-Charles – Belle de Mai » menée par la Ville et la Métropole de Marseille**** (147 ha en reconversion) et dont le périmètre se juxtapose partiellement à la ZAC Saint-Charles – Porte d’Aix (15,2 ha), devrait avoir émergé un campus urbain d’a minima 5 000 étudiants selon les promoteurs (Cf. Ces espaces qu’Euroméditerranée veut façonner pour eux).
Les lieux, sur lesquels ont déjà « champignonné », selon l’expression d’Hugues Parant, diverses « choses » (hôtels, résidence étudiante, résidence de tourisme, une école de management, une bibliothèque), auront alors une toute autre physionomie car l’ensemble aura été quasiment livré.
D’ici là, l’appétit des investisseurs, porteurs d’ « objets immobiliers » qui « parlent » à cette jeunesse, seront dirigés vers cet endroit-là, ce qui aura aussi le mérite de donner de la visibilité à des opérateurs : « Aujourd’hui, celui qui veut établir une résidence hôtelière pour les jeunes ne sait pas très bien où l’installer.
Pour avoir une configuration plus forte, Euroméditerranée dit avoir travaillé sur l’ensemble des hébergements, que ce soit pour des étudiants, des jeunes familles ou des jeunes en transit dans la ville.
Offre hôtelière renouvelée
Dans le viseur, une offre hôtelière renouvelée avec des propositions tarifaires adaptées à ces jeunes qui n’ont en effet jamais autant voyagé, mais …à moindre coût et qui aiment les concepts différenciants autocentrés sur eux (cf. les hôtels éphémères de Snoozebox ; les hébergements hybrides de The Student Hotel ; les modulables de Nomad Hotels ; les « entre-deux » auberges de jeunesse/hôtels économiques des Generator Hostels comme Vertigo à Marseille, qui a déjà plusieurs adresses, les hôtels « do it myself » qui les affranchissent des procédures à l’arrivée et à la sortie, etc.).
La résidence étudiante SENS, dont la première pierre a été posée fin janvier, ou le programme du Faubourg des Fiacres, sont quelques illustrations des investissements que nous souhaitons accueillir. Sur ce dernier équipement, l’on a particulièrement travaillé sur l’intergénérationnel », soutient Hugues Parant.
Imaginée par le cabinet d’architecture Atelier Fernandez et Serres, la résidence sociale, programme immobilier acquis par Logis Méditerranée, en partenariat avec Amétis (promoteur de l’opération), offrira 83 logements à horizon 2019 et sera géré par Fac Habitat.
Composé de constructions neuves et d’immeubles entièrement réhabilités, le Faubourg des Fiacres, à livrer fin 2020, portera 120 logements avec une centaine en logements sociaux, dont 20 seront confiés en gestion à une association en vue de les louer à des étudiants à des tarifs préférentiels. En échange de ces tarifs préférentiels, les étudiants devront consacrer du temps à la vie du quartier (aide aux devoirs pour les plus jeunes, animations ou présence auprès des séniors).
Japan Town marseillais
Marqueur de la requalification de la Porte d’Aix et premier investissement en Europe de la chaîne hôtelière nippone, le Toyoko Inn sera (enfin) inauguré à la fin du mois de mars. Il aura fallu de la patience à Norimasa Nishida, le fondateur du groupe, pour éteindre les nombreux recours déposés contre l’implantation de cet hôtel de 231 chambres en projet depuis 2013.
Á la frontière entre la catégorie urbaine et économique (40 à 50 $) mais avec un niveau de services à la japonaise, le Toyoko Inn vise une clientèle urbaine. Mais il est aussi attendu qu’il soit un élément « attractif et attracteur » pour une jeunesse japonaise en transit en France et qui pourrait ainsi avoir accès à la Provence, à moins de 3 heures de Paris. D’où son implantation à proximité de la gare Saint-Charles.
« Son offre ne sera pas qu’hôtelière, précise la direction d’Euroméditerranée. Il participera à l’animation de la vie locale pour faire de ce « Japan Town » marseillais un nouveau lieu d’attractivité. Les jeunes ont une réelle appétence pour cette culture ».
Rien ne sera dit en revanche de l’offre de services pour la nuit (nouveaux modes et lieux festifs), autre élément « attractif et attracteur » et universel pour toutes les jeunesses. Toutes les métropoles, avec lesquelles la ville « éteinte après 21 h » veut concourir pour hameçonner les populations internationalement mobiles, ont enrichi leur vie nocturne.
2013 aurait permis à la nuit d’éclore à Marseille en créant des nouveaux pôles, « notamment à la Joliette, avec le parvis de la major, le R2 au Docks (où ont émergé des roof-top, Ndlr) avec un public très étudiant et à la Friche, centre culturel de la ville qui attire un public de néo-Marseillais et de Marseillais », défend Clément Carouge, directeur de La Nuit Magazine, cité dans une étude de l’AGAM sur la nuit, monde interlope peu étudié sous l’angle des politiques urbaines.
Beaucoup d’interrogations
Marseille part de loin, de très loin. Car si Aix-Marseille Provence gagne des jeunes, elle n’est pas aujourd’hui sur les écrans-radars ni des étudiants (cf. Les étudiants ne vénèrent pas la métropole du Sud bénie des dieux) ni des jeunes actifs, encore moins des classes créatives. Mais elle devient manifestement de plus en plus attractive pour les city-breakers.
Il reste aussi beaucoup d’interrogations, que le directeur général de l’EPA désarçonne presqu’avant que la presse n’ait eu le temps de les poser.
« Il faudra faire attention à ne pas saturer les espaces pour les jeunes et veiller aux équilibres générationnels », convient Hugues Parant.
Il y a peu de temps, l’AGAM, que préside par ailleurs la présidente d’Euroméditerranée, organisait un débat sur la revitalisation de l’hypercentre marseillais grâce à des projets liés aux innovations technologiques, culturelles et sociales et des concepts qui attirent naturellement les jeunes (sur le modèle du Tubà à Lyon, de Darwin, sur les friches militaires et ferroviaires à Bordeaux, ou du Cargo à Paris).
Par ailleurs, des lieux entre fablab, coworking et comaking ont déjà colonisé l’intérieur de la ville comme Make it Marseille, La Fabulerie, La Ruche, Le Repaire ou Babel Community (une nouvelle génération de tiers-lieux où sur 7 niveaux, l’on peut co-loger, installer sa start-up, travailler, se restaurer et faire du sport) au 70 rue de la République, particulièrement rétive à la requalification.
Le haut de l’artère qui plonge dans la mer, la célébrissime Canebière néanmoins livrée à elle-même, fait aussi l’objet d’une requalification autour d’un projet destiné à en faire « un broadway ».
Quid de ces jeunes dont le portrait a été « tiré » par l’Insee ?
Parmi les autres questionnements qui deviennent vite des inquiétudes, la possible gentrification d’un quartier populaire, et la probable spéculation qui l’accompagne souvent.
« L’idée est de garder la spécificité de ces quartiers mais en y adossant des espaces publics et une gestion urbaine pour apporter de la qualité d’usages », réagit Laure-Agnès Caradec, qui pense échapper aux effets négatifs « parce que nous avons veillé à avoir une offre à la gamme tarifaire large : du logement social avec une règle fixée a minima à 25 % sur l’ensemble du programme, de l’accession à prix maîtrisés, des produits neufs, innovants et de qualité à des prix abordables ».
Enfin, quid de ces jeunes dont le portrait a été « tiré » par l’Insee dans une de ses études. Pus faible numériquement que dans les 13 principales aires urbaines françaises, la jeunesse phocéenne (671 000 de moins de 30 ans) serait plus en difficulté qu’ailleurs. Les taux de non-diplômés et de chômage chez les jeunes sont parmi les plus élevés des grands territoires français. 29 % des 15-24 ans sans emploi (23 % en moyenne urbaine), 16,1 % des 15-29 ans n’ont aucun diplôme, et surtout 11,8 % sont inactifs. Ces caractéristiques, déjà bien au-delà de la moyenne nationale, ont tendance à s’accentuer d’année en année.
Et quant à l’âme de ce quartier dont la typicité baroque pourrait être balayée par une nouvelle identité : « nous avons tous notre histoire de la Porte d’Aix. Nous sommes tous d’accord pour que le « Marseille attractif » repose sur le fait que cette ville reste à part. Qui mieux que les jeunes peuvent tirer bénéfice de ces quartiers en transformant le regard sur cette partie de la ville ».
Ils sont peut-être aussi les seuls capables de franchir toutes les barrières mentales et culturelles pour se poser dans ces endroits-là, les seuls à même de dialoguer avec tout le monde sans exclusive…
— Adeline Descamps —
* Selon Richard Florida, géographe américain, à l’origine de la notion de « capital créatif », la croissance économique régionale est alimentée par une classe de population urbaine, mobile, qualifiée et connectée : scientifiques, ingénieurs, architectes, designers, artistes… qui recherchent dynamisme culturel et technologique et un écosystème entrepreneurial porteur.
** En 2020, il y aura près de 300 millions de voyages de jeunes, selon les prévisions de l’Organisation mondiale du tourisme. De 2000 à 2012, les arrivées internationales des jeunes sont passées de 136 millions à 187 millions, soit environ 20 % des voyages internationaux. Á ce jour, le portrait-robot du touriste qui se rend dans le département ne ressemble pas vraiment à cela. Il est français (87 %), il séjourne chez parents ou amis (2 sur 3), il reste sur le territoire 5,3 jours et dépense 60€ par jour.
*** Lire à cet effet l’étude publiée par think tank La Fabrique de la Cité : « Les Millennials, une légende urbaine ? », passant au crible sept idées reçues sur cette génération surmédiatisée.
**** A été confiée au groupement Güller / TVK la mission d’élaborer le schéma de reconversion des anciennes casernes de la Belle de Mai de 7 ha et le plan de recomposition des abords de la gare Saint-Charles de 140 ha.
Cet article fait partie d’une enquête en trois volets
[Enquête Le défi jeune de Marseille 1/3] La promesse de Marseille aux 18 – 35 ans
[Enquête Le défi jeune de Marseille 2/3] Ces espaces qu’Euroméditerranée veut façonner pour eux
[Enquête Le défi jeune de Marseille 3/3] Les étudiants ne vénèrent pas la métropole du Sud bénie des dieux
cet article vous a plu ?
Donnez nous votre avis
Average rating / 5. Vote count:
No votes so far! Be the first to rate this post.