Rafles de Marseille : l’expo coup de poing est dans la rue

En cet hiver 2023, Marseille commémore les 80 ans des rafles du Vieux-Port et de l'Opéra. Les chiffres donnent le vertige : 20. 000 personnes évacuées de leur logement les 23, 23 et 24 janvier 1943, 6.000 raflées par les Allemands avec le concours de la police française. 1.642 hommes, femmes et enfants déportés, dont 783 juifs envoyés au camp d'extermination de Sobibor dont ils ne reviendront pas. Le quartier de la mairie est littéralement rasé, 1.500 immeubles détruits. De l'ombrière du Vieux-Port jusqu'à la place Bargemon, une remarquable exposition en plein air rappelle ces atrocités.

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Marseille a rouvert en cette fin janvier 2023 l’une des pages les plus sombres de son histoire : les rafles du Vieux-Port et de l’Opéra. Conduites par les Allemands avec l’appui des autorités françaises et de la police, elles ont piégé des milliers de personnes. Une opération menée sur ordre d’Henrich Himmler, le numéro 2 du régime nazi, pour lequel Marseille n’était rien qu’un cloaque cosmopolite à assainir, donc à détruire.

Les images de ce crime de guerre sont impressionnantes et s’étalent désormais sur la promenade qui relie l’Hôtel de Ville à l’ombrière du Vieux-Port. Et on a vu, durant tout ce dimanche de la commémoration officielle du 80e anniversaire des rafles, les passants se presser devant les panneaux explicatifs. C’est une idée courageuse et bienvenue qu’a eue la municipalité d’organiser à ciel ouvert cette exposition des atrocités plutôt que dans un musée où n’irait peut-être pas grand-monde. C’est la première étape d’un parcours mémoriel visant à inscrire dans l’espace public le souvenir des victimes de ce drame absolu.

C’est là, sous nos pieds, qu’a débuté la déportation…

Que vaut cette expo ? D’abord elle se dresse précisément là où 15.000 habitants ont été entassés dans les tramways pour être dirigés manu militari vers la gare d’Arenc. Pour des centaines de juifs, qui l’ignoraient, c’était le dernier voyage. On regarde ces images d’archives où des policiers français encadrent les malheureux, et on est saisi d’effroi. Le choc ! Mais c’est là, juste à l’endroit où l’on se tient sous le beau soleil d’hiver – sur ce quai qui s’appelait alors quai Maréchal Pétain – , que ces enfants frigorifiés et leurs mères effrayées, ces hommes mal fagotés, ont été embarqués… Cette exposition vaut témoignage de chair et de sang.

Que dit cette expo ? Elle raconte précisément les événements que Marseille a longtemps enfermés dans les livres d’histoire. Les données sont factuelles, précises. On apprend beaucoup par les photos. Elles dévoilent la réalité dans sa nudité crue. On voit – à cette occasion, beaucoup découvrent, stupéfaits, une facette inconnue de leur ville – tout ce quartier dynamité puis rasé au bulldozer. Une désolation monstrueuse. N’échapperont à la destruction que l’Hôtel de Ville, l’hôtel de Cabre, la Maison Diamantée, l’église Saint-Laurent, les bâtiments de la Douane et la consigne sanitaire.

« Oublier, c’est assassiner une deuxième fois »

Retour vers la mairie dont la façade est ornée de deux banderoles grises verticales proclamant « 1943-2023, Marseille se souvient ». L’expo se poursuit sur la place Bargemon attenante. Sur la palissade qui court entre la mairie et l’Hôtel-Dieu défilent les témoignages de personnes raflées ou de leurs descendants. Ces familles dévoilent leurs souvenirs, et surtout racontent le traumatisme que provoqua cet épisode dans leur histoire familiale, et comment il l’impacte encore aujourd’hui. Face au mutisme de son père déporté qui n’avait jamais voulu parler, Francine Escalier a voué sa vie à la mémoire de la déportation. C’est le même combat que celui de Corinne Gérardos dont le grand-père a été déporté.

En cet hiver 2023, le drame remonte en surface en s’affichant en pleine rue. Car Marseille ne peut, ne doit pas oublier. « Oublier, c’est assassiner une deuxième fois », a martelé Michel Cohen-Tenoudji, président du Consistoire israélite de Marseille lors de la commémoration de la rafle de l’Opéra ce dimanche à la mi-journée.

Darmanin, une reconnaissance par l’Etat

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait fait le déplacement – une première significative à ce niveau de l’Etat -, accompagné de la ministre des anciens combattants, Patricia Mirallès. Il s’est d’abord exprimé au pied de l’Hôtel de Ville en présence du maire, des parlementaires, des représentants des collectivités territoriales et des associations juives, notamment. Le ministre a dénoncé « la folie barbare qui a endeuillé Marseille et ouvert une plaie de 14 hectares » au coeur de la ville. « Marseille meurtrie parce qu’elle était Marseille », a-t-il ajouté.

« Se rappeler, se souvenir, honorer la mémoire de ceux qui nous ont précédés, des événements qui ont marqué notre ville, qui l’ont forgée, c’est faire la promesse, tous ensemble, de ne rien oublier, et de continuer sans cesse à agir pour ne pas reproduire les errements de notre passé commun », a écrit le maire, Benoît Payan, au début du parcours.

 

Cette histoire nous saute à la figure

Oui, c’est juste : Marseille la tri-millénaire, prestigieuse héritière des conquérants phocéens, a aussi été « forgée » par ces événements dramatiques encore proches de nous. Tout ce quartier du Vieux-Port en porte les stigmates. Nous sommes invités à les regarder en conscience, non pas pour culpabiliser, mais plutôt pour nourrir notre vigilance. Car « un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre », disait Churchill, prolongeant Santayana

Il ne vous reste plus qu’à parcourir le quai de la Fraternité et le quai du Port pour accomplir une balade mémorielle, et mémorable, in situ. Car c’est bien un pan un peu effacé de notre histoire commune, celle qui imprègne notre mémoire collective, qui suinte de ces pavés et nous saute à la figure. On n’en sort pas indemne.

 

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