Réagir vite pour vaincre un cancer de la gorge, de la bouche ou du nez

Plus de 15 000 Français par an sont touchés par un cancer ORL. Malheureusement, 70% s'inquiètent quand il est déjà très avancé et leurs chances de survie sont réduites. En cas d'apparition d'une douleur ou d'une grosseur dans la bouche, le nez, le cou ou d'une gêne respiratoire persistant plus de 3 semaines, consultez ! Dépistée tôt, cette maladie se guérit dans 90% des cas.

Santé

Le docteur Philippe Bergerot a raconté une drôle d’histoire en ouverture de la conférence publique sur la prévention des cancers ORL organisée mercredi à Marseille par notre média. Ce médecin nantais devenu président national de la Ligue contre le cancer a fait l’honneur de sa visite phocéenne à MProvence. Et personne n’a été déçu du voyage dans l’amphi d’Aix Marseille Université au Pharo quand ce cancérologue a partagé une triste anecdote.

Philippe BERGEROT, président du cancer colorectal
Dr Philippe BERGEROT, président national de la Ligue contre le Cancer (Photos Killian BLISSON).

« Un monsieur vient me voir pour des douleurs à avaler. Il avait une grosse tumeur. Je lui demande depuis quand il a mal et pourquoi il n’avait pas réagi plus tôt. Il m’a dit que c’est en buvant son blanc le matin que ça « accrochait » et que ça l’avait interrogé. Il en avait parlé à ses copains qu’il retrouvait les après-midi pour partager un verre de rouge. Et comme boire du rouge ne lui faisait pas mal, il a remplacé le blanc du matin par du rouge. Et cela a retardé un peu plus sa prise en charge. »

La tumeur grossit dans la bouche… et alors !

A l’image de ce patient insouciant, des milliers de nos concitoyens laissent chaque année traîner, et ainsi prospérer un cancer. « Si vous saviez combien de fois il m’est arrivé de voir des personnes avec des tumeurs de 4 centimètres dans la bouche ! » poursuit le Dr Bergerot.

Intitulée Rouge Gorge, cette campagne de prévention relayée ici par MProvence avec le service ORL de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (APHM) vise précisément à informer la population des signes d’alerte.

90% de chances de guérison si le cancer est pris tôt

« Le problème est que les gens ne savent pas repérer ces signes, déplore le Pr Nicolas Fakhry, chirurgien à l’hôpital de la Conception et responsable chirurgical de la filière cancérologie ORL de l’APHM. Dans le cas d’un diagnostic précoce, le patient aura 80% à 90% de chances d’être guéri à 5 ans (après le début de sa maladie). Malheureusement, les malades arrivent 7 fois sur 10 à un stade avancé de la maladie et dans ce cas le taux de survie à 5 ans tombe à 50% ou 40%. »

Pr Nicolas Fakhry, chirurgien ORL, responsable chirurgical de la filière cancérologie ORL de l’APHM, hôpital de la Conception
Pr Nicolas Fakhry, chirurgien ORL, responsable chirurgical de la filière cancérologie ORL de l’APHM, hôpital de la Conception

« S’il est pris à temps, une petite intervention au laser peut suffire pour extraire le cancer, ajoute le Pr Fakhry. Aujourd’hui il n’existe pas de test fiable pour dépister ces cancers qui se nichent dans notre nez, notre bouche ou notre gorge. D’où l’importance de connaître les symptômes« .

Non, ce n’est pas une otite ni une angine !

Chirurgienne ORL, la Dr Laure Santini confirme que la majorité de ces cancers donnent des symptômes, mais ils nous induisent en erreur. « Ils sont très banals, ils miment une otite, une laryngite ou une angine. » Comment savoir si c’est grave alors ? « Si ça ne guérit pas au bout de 3 semaines, ce n’est sans doute pas normal. Surtout si ça s’intensifie, et si on a mal que d’un seul côté. »

Dr Laure Santini, chirurgien ORL, hôpital de la Conception
Dr Laure Santini, chirurgien ORL, hôpital de la Conception

Qu’est-ce qui doit nous alerter ? Réponse de la Dr Santini : une difficulté à inspirer l’air peut signifier que le larynx est obstrué par une tumeur, tout comme la perte de la voix ou un enrouement. Des saignements de nez peuvent annoncer un cancer se développant dans vos sinus. Une grosseur à la base de la langue, une blessure qui ne cicatrise pas dans la bouche, une boule dans le cou même non douloureuse, tout cela doit amener à consulter.

4 000 femmes et 11 000 hommes atteints

Rappelant que le tabac et l’alcool sont responsables de 75% de ces cancers, la Dr Pauline Paris, chirurgienne ORL, a souligné que chaque année 11 000 hommes (chiffre en recul) et 4 000 femmes (en hausse à cause du tabagisme) se voient diagnostiqués. Elle a notamment mis en évidence la progression des cancers – dont une majorité d’hommes – des amygdales et du bas de la langue provoqués par le papillomavirus (HPV).

Dr Pauline Paris, chirurgien ORL, hôpital de la Conception
Dr Pauline Paris, chirurgien ORL, hôpital de la Conception

« Près de 100% des adultes seront à un moment donné infectés par le papillomavirus, précise la Dr Paris. 80% des infections seront éliminées la première année. Pour les autres, ça ne donnera rien mais pour certains cela se transformera en cancer. » Le papillomavirus n’impacte donc pas que le col de l’utérus ou l’anus comme on le croit souvent.

Faites vacciner vos ados !

« La seule prévention, c’est le vaccin recommandé entre 11 et 14 ans pour les filles et les garçons, avec un rattrapage possible à 19 ans et peut-être bientôt jusqu’à 26 ans. Dans les pays qui vaccinent beaucoup et depuis longtemps, on assiste à un recul des cancers de l’oesophage dus à l’HPV« .

Message martelé par les médecins lors de la conférence : « Faites vacciner vos enfants ! » « La Ligue contre le cancer sera toujours à vos côtés pour favoriser la vaccination des enfants » assure le Dr Bergerot, avec l’assentiment du président de la Ligue dans les Bouches-du-Rhône, Pierre Garosi, et sa directrice, Magali Maugeri.

Entre l’oeil et le cerveau, le bistouri du Pr Michel

Chef du service ORL et de chirurgie cervico-faciale à l’hôpital de la Conception, le Pr Justin Michel a lui aussi regretté les diagnostics tardifs. « Si vous avez le nez bouché et toujours du même côté, il faut consulter. Les cancers des sinus sont rares et très compliqués à opérer car ils peuvent se situer dans l’ethmoïde dont le toit est le plancher du cerveau, idem pour le sinus sphénoïdal. Quand on opère entre l’oeil et le cerveau, c’est toujours complexe. Et parfois la zone est totalement occupée par le cancer qui envahit l’orbite ou le cerveau. Alors il est tard pour intervenir. »

Pr Justin Michel, chirurgien ORL et chef du service ORL et chirurgie cervico-faciale, hôpital de la Conception
Pr Justin Michel, chirurgien ORL et chef du service ORL et chirurgie cervico-faciale, hôpital de la Conception

Le Pr Michel souligne que les progrès techniques ont permis la mise au point d’instruments miniatures que l’on passe par les narines. Avant, pour atteindre la tumeur, il fallait ouvrir le visage en deux, décalotter la boîte crânienne et déplacer le cerveau…

Menuisiers et ébénistes en danger

Les auditeurs de ce mercredi soir ont cependant été rassurés par la rareté de ces cancers, environ 3% des 15 000 annuels. Ils concernent notamment les travailleurs du bois – menuisiers et ébénistes amenés à respirer continument des poussières de bois notamment exotiques en les ponçant. Ils sont les principales cibles de ce cancer. « Ils doivent consulter une fois par an pour un dépistage par caméra. »

Quant aux bricoleurs du dimanche qui poncent leurs étagères et portes de placard, sont-ils en danger eux aussi ? Non.  Ils peuvent continuer à bricoler tranquillement en portant un masque de protection.

Des rayons toujours plus précis

Onco-radiothérapeute à la Timone, la Dr Isabelle Pougnet a détaillé le traitement par rayons X. Il est indolore et dure 6 à 7 semaines, sans hospitalisation, avec des séances quotidiennes de 20 minutes. La radiothérapie peut arriver en complément de la chirurgie ou intervenir en première intention, notamment si la tumeur n’est pas accessible au bistouri. « On délivre des rayons ionisants au sein d’une cible grâce au masque individualisé et sur mesure que porte le patient, en essayant d’irradier le moins possible les organes autour. »

Dr Isabelle Pougnet, onco-radiothérapeute, hôpital de la Timone
Dr Isabelle Pougnet, onco-radiothérapeute, hôpital de la Timone

Immunothérapie : nouveauté 2025 pour prolonger la vie

Troisième arme de destruction des cancers, celle maniée à la Timone également par le Pr Sébastien Salas, oncologue et responsable médical de la filière cancérologie ORL de l’APHM. « L’immunothérapie a révolutionné la prise en charge des cancers ORL de stades avancés 3 ou 4. En temps normal, notre système immunitaire agit comme un ange gardien, il élimine les cellules anormales comme celles d’un cancer. Mais parfois ces cellules développent des mécanismes pour échapper au système immunitaire et ne sont plus alors reconnues comme dangereuses, pouvant continuer à se multiplier. L’immunothérapie va permettre que la cellule cancéreuse soit de nouveau reconnue par les lymphocytes et être détruite. » Ainsi les défenses de l’organisme sont stimulées pour attaquer le cancer.

Pr Sébastien Salas, oncologue médical, responsable médical de la filière cancérologie ORL de l’APHM, hôpital de la Timone
Pr Sébastien Salas, oncologue médical, responsable médical de la filière cancérologie ORL de l’APHM, hôpital de la Timone

Ces traitements ne cessent de progresser. En 2025, la nouveauté qui arrive dans l’armoire des oncologues consiste à pouvoir administrer une immunothérapie avant la chirurgie puis d’enchaîner sur une radiothérapie et/ou une chimiothérapie. On est ici sur des stades avancés de cancers et ces traitements multimodaux permettent une augmentation de la survie des patients.

La mâchoire reconstruite avec un os de la jambe

Enfin, la conférence s’est terminée… dans le dur ! Ames sensibles s’abstenir. Car la spécialité du Dr Nicolas Graillon, chirurgien maxillo-facial à la Conception, c’est la reconstruction osseuse du visage après retrait de la tumeur. « Notre objectif est de redonner son visage d’avant au patient. » Car le visage est notre identité. Or certaines lésions importantes laissent des béances, des mâchoires amputées, qu’il faut rebâtir.

Dr Nicolas Graillon, chirurgien maxillo-facial, hôpital de la Conception et Dr Chloé Mense, odontologue, hôpital de la Timone
Dr Nicolas Graillon, chirurgien maxillo-facial, hôpital de la Conception et Dr Chloé Mense, odontologue, hôpital de la Timone

Pour cela, le Dr Graillon prélève de longs segments d’os avec artère et veine comprises dans nos jambes, sur le péroné, ou dans un omoplate voire sur le bassin. Il ne s’agit donc pas que de colmater un trou mais d’implanter un os vivant. « Cet os de la mâchoire sert aussi à manger, à parler, à déglutir, il faut le relier à des muscles. »

On l’a compris, c’est extrêmement complexe, les interventions peuvent durer jusqu’à 8 heures. « Ce que nous voulons, c’est recréer la qualité de vie du patient. Nous faisons de l’os sur mesure pour chaque patient. C’est une chirurgie planifiée avec des ingénieurs. »

Implanter des dents, c’est essentiel

Vient ensuite l’implantation des dents. Encore un sacré chantier, qui est l’affaire cette fois de la Dr Chloé Mense, odontologue à la Timone. « Les patients souhaitent retrouver leur vie d’avant. Pour cela, nous réalisons une empreinte, un peu comme le fait votre dentiste. » Sauf que là, c’est tout un pan de la mâchoire qu’il faut rhabiller d’implants.

Dr Chloé Mense, odontologue, hôpital de la Timone
Dr Chloé Mense, odontologue, hôpital de la Timone

« C’est complexe et ça peut être douloureux sur des tissus sensibles et fragilisés. Nous n’arrivons pas à répondre à toutes les situations. » La chirurgienne a souligné l’appui des logiciels facilitant cette réhabilitation dentaire et des progrès grâce aux outils numériques, mais les miracles, ça n’existe pas vraiment.

Le Pr Nicolas Fakhry a clôturé l’échange conduit devant un auditoire très attentif – parmi lesquels une dizaine d’étudiants infirmiers qui se spécialisent en chirurgie -, en présentant Corasso, une association de patients qui vient en aide aux malades, et dont le site est très bien fait : corasso.org. Ultime message répété par l’expert : en cas de signes persistants, consultez un médecin !

Le 23 avril on s’attaque au cancer du poumon

Prochaines conférences publiques et gratuites proposées par MProvence : « Protégeons nos poumons du cancer ! » Tabac, cannabis, pollution, dépistage, progrès de la médecine.

Mercredi 23 avril à 18h à Marseille, amphi Gastaut, Aix Marseille Université, Jardin du Pharo, 58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille. Entrée libre. 

Jeudi 15 mai à 18h à Bastia, salle polyvalente de Lupinu, rue Saint Exupéry. Entrée libre.

Mercredi 21 mai à 18h à Aix-en-Provence, Centre hospitalier du Pays d’Aix, avenue des Tamaris. Entrée libre.

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