Quand on parle de soins palliatifs, on pense à une fin de vie inéluctable et rapide. On a comme l’impression que c’est le service vers lequel sont dirigés les patients lorsqu’il n’y a plus de solution thérapeutique, lorsqu’on ne peut plus les soigner. Est-ce le cas ?
Docteur Alix Dousset : Les soins palliatifs sont des soins actifs, des soins qui vont être continus et dont l’objectif va être de soulager les souffrances des patients qu’on accueille, de sauvegarder leur dignité et de soutenir l’entourage. Ces soins palliatifs, de manière plus large, accueillent l’ensemble des patients pour lesquels on a diagnostiqué une maladie grave, évolutive et dont le pronostic vital est en jeu mais à court terme, à moyen ou à très moyen terme.
Quand on parle de « très moyen terme », ça peut être quelle durée ?
Plusieurs années !
100 places pour… 2 millions d’habitants
On a parlé du principe fondamental des soins palliatifs, c’est-à-dire soulager les gens pour qu’ils aient une certaine qualité de vie. Quel est leur objectif final ?
L’objectif final est effectivement d’avoir une prise en charge qui sera la plus précoce possible, pour pouvoir accompagner l’évolution de la maladie et accompagner en fait les symptômes d’inconfort qu’ils soient d’ordre physique ou d’ordre psychique. Il s’agit également d’accompagner l’entourage tout au long de cette maladie, y compris en fin de vie.
Cette prise en charge est-elle dorénavant systématiquement envisagée en fin de vie par les médecins ?
La loi prévoit le droit pour tous à accéder aux soins palliatifs. Aujourd’hui, malheureusement, on est encore trop peu pourvu de structures qui permettent un accompagnement correct de ces patients là. Il faut savoir qu’il y a vraiment des déserts médicaux en France en termes de structures de soins palliatifs et par exemple, rien que pour les Bouches-du-Rhône, on a 100 places en unités de soins palliatifs pour 2 millions d’habitants. Donc forcément il y a une tension qui se fait sur ces systèmes d’hospitalisation. Oui effectivement, c’est systématiquement à proposer, mais aujourd’hui ça reste encore difficile à initier de manière systématique.
Développer les soins palliatifs à domicile
C’est-à-dire que vous n’arrivez pas à répondre vous-même, ici, à la demande de tous vos patients ou des médecins avec lesquels vous travaillez en ville ?
Il est difficile de pouvoir répondre à chaque demande. On a heureusement ici sur l’hôpital Saint-Joseph la possibilité de mettre en place les soins palliatifs de différentes manières possibles. Ce qui nous permet de couvrir les patients en soins palliatifs, autant ceux qui sont en hospitalisation que ceux qui vont être à domicile, et donc de les recevoir soit par des consultations soit par du soin à domicile. On essaie de couvrir le plus possible mais effectivement c’est compliqué. Heureusement on peut aussi quand même travailler en lien et en collaboration avec les autres structures qui font du soin palliatif sur Marseille et dans sa périphérie; ça reste encore difficile de pouvoir accueillir tout le monde, effectivement.
Comment se déroule concrètement l’accompagnement médical des malades, à domicile ou à l’hôpital ?
Les patients vont être accueillis – et, c’est là, la spécificité des soins palliatifs – par une équipe pluridisciplinaire : un médecin, une infirmière, un aide-soignant et un psychologue. Quand un patient rentre soit dans une unité d’hospitalisation soit à domicile, il va rencontrer une équipe qui va l’accueillir, chacun à sa place. Au niveau médical vous allez avoir un examen clinique, on va prendre le temps de retracer toute l’histoire et puis surtout d’accueillir les attentes du patient et de sa famille sur les symptômes qui lui sont inconfortables et ce qu’il attend aussi de la démarche palliative.
L’hypnovel, le médicament qui accélère le décès légalement
Les soins palliatifs à domicile sont-ils appelés à se généraliser ou bien est-ce que, finalement, on va toujours mourir de préférence à l’hôpital parce que l’environnement est plus sécurisé ?
On souhaite le développement et c’est en ce sens justement que je vous parlais des différentes unités; qu’on puisse donner la possibilité aux patients qui ne souhaitent pas mourir à domicile de pouvoir être hospitalisés pour les accompagner dans les toutes dernières journées et heures de leur vie. C’est tout l’enjeu de pouvoir développer cette démarche palliative, pouvoir faire bénéficier quand même aux patients qui ne souhaitent pas d’hospitalisation de la démarche palliative à domicile.
On sait que les produits employés peuvent accélérer le décès, c’est le cas de ce qu’on appelle vulgairement peut-être l’hypnovel à haute dose. A quel moment les médecins décident-ils d’avoir recours à ces produits qui vont conduire au décès du patient ?
C’est un cadre très précis qui nous est donné. C’est grâce à la loi Clayes-Leonetti qu’on y a accès et c’est la fameuse loi du double effet. C’est-à-dire que l’on peut avoir recours à un médicament pour soulager les souffrances en fin de vie, au risque d’accélérer ou de provoquer le décès. Donc l’intention d’utiliser ces médicaments est de soulager. Et c’est vraiment ce qui motive la décision d’utiliser ces médicaments.
Essai sur le cannabis thérapeutique, arrivée de la neuromodulation
Votre spécialité médicale bénéficie-t-elle d’innovations thérapeutiques ?
Actuellement on a une étude qui est en cours de manière nationale sur, par exemple, certaines molécules telles que le cannabis thérapeutique dans les douleurs en situation palliative en l’occurrence. On a aussi en termes d’innovation technique toute la partie qu’on appelle neuromodulation. C’est implanter à des patients des dispositifs – qu’on appelle des pompes intrathécales – pour pouvoir mettre des médicaments directement dans le liquide céphalo-rachidien. Du coup on met de plus petites doses et puis on « shunte » (court-circuite) ainsi tout le système digestif qui est souvent pourvoyeur d’effets secondaires. C’est une vraie innovation que de pouvoir proposer cela aux patients en situation palliative. On augmente leur confort.
Les familles sont impliquées dans l’accompagnement
Les familles sont-elles associées à ces démarches, à ces décisions, et est-ce qu’elles le demandent ?
Oui, elles sont associées. Oui, elles le demandent. Il y a un cadre législatif avec ce qu’on appelle une personne de confiance. C’est un témoin privilégié du patient, qu’il a lui même nommé et qui va retranscrire la parole du patient si jamais il ne peut plus le faire. Dans notre prise en charge, il y a un cadre législatif pour pouvoir accueillir les familles. Et puis évidemment on ne peut rien faire sans la famille. C’est d’ailleurs aussi une des missions des soins palliatifs que de prendre en charge l’entourage et la souffrance de l’entourage. Les familles sont incluses dès l’entretien d’accueil. On leur demande aussi quelles sont leurs attentes. Par exemple, sur Saint-Joseph, on a mis en place des cafés des familles tous les mardis après-midi où on peut recevoir les familles, qui peuvent se rencontrer également autour d’un café. On prévoit aussi tout au long de la prise en charge, que ce soit à domicile ou en hospitalisation, de rencontrer les familles et les accompagnants pour pouvoir recueillir la manière dont ils vivent cette situation là et pouvoir les accompagner.
Une cuisine, des clowns, de la légèreté si possible
On imagine qu’il y a beaucoup d’angoisse parce qu’on est face à la mort, la perte d’un être très cher. Comment est-ce qu’on gère cela ? C’est un accompagnement qui peut être psychologique aussi pour les gens les plus fragiles ?
Bien sûr ! Pour la prise en compte de l’angoisse, au-delà des médicaments, on peut mettre en place toute une sphère d’accompagnement. On a systématiquement une psychologue, que ce soit à domicile ou en hôpital. On a aussi créé dans les unités de soins palliatifs des lieux un petit peu à part. Par exemple à Saint-Joseph, sur l’unité, on a ce qu’on appelle la salle « Parenthèse » où les patients peuvent venir. On a une petite cuisine, on peut y fêter des anniversaires, recevoir sa famille et ça permet aussi de prendre en charge l’angoisse des patients jour après jour. Il y a des bénévoles, des clowns également qui interviennent pour donner un petit peu de légèreté à certains moments de la journée. On propose de la musique. On a également des infirmières qui sont formées en toucher-détente. On permet aussi l’extension des visites, les proches peuvent dormir auprès de leurs patients, peuvent venir sur des horaires plus étendus. Cela permet de soulager beaucoup d’angoisse.
Etre à l’écoute du corps pour éviter la souffrance
Comment arrivez-vous à mesurer l’efficacité des soins que vous dispensez, quand on sait que malheureusement ça se terminera par la mort ?
On a l’examen clinique, quand on examine le patient. Et un temps que je trouve important, qui est celui de la toilette, où les aides-soignantes et les infirmières vont passer du temps avec le patient et vont le connaître jour après jour un peu mieux. Le corps peut aussi parler et nous dire aussi à quel moment on ressent un patient qui aujourd’hui est renfermé sur lui-même, donc qui a peut-être plus d’angoisse, plus d’inquiétude; ou des membres qui sont plus raides. Tout ça, ce sont des éléments qui nous aident aussi à mesurer l’efficacité de ce qu’on est en train de mettre en place. Et puis bien sûr encore une fois, les familles, et surtout la nuit lorsque un proche reste auprès du patient, il va nous dire « Mais moi je vois mon mari, mon frère, ma sœur, mon enfant être un peu moins bien, être plus douloureux » et tout cela on l’inclut aussi dans notre évaluation.
Je voudrais revenir sur une précision : comment réagissent les malades quand vous leur parlez des soins palliatifs ?
Beaucoup d’entre eux ont déjà entendu ce mot. La difficulté est que beaucoup l’associent à fin de vie imminente. Donc c’est vrai qu’on va plutôt essayer de détricoter cette idée de la fin de vie des soins palliatifs. On met beaucoup l’accent sur le côté soins de confort, et accueil des familles.
« C’est l’amour qui me porte »
Docteur Dousset, une question peut-être plus personnelle : comment garde t-on le sourire et l’espoir – vous êtes quelqu’un de souriant ! – quand on est médecin en soins palliatifs ?
Puisque c’est une question personnelle, je vous réponds à titre personnel. Je crois que c’est l’amour de mon amoureux qui est mon mari, de mon fils, de mes amis, de mes beaux-enfants, et ça va insuffler aussi des actes dans le quotidien, qui permettent d’aller à la rencontre de l’autre et d’accueillir l’autre pour ce qu’il est. Finalement on se rend compte que dans notre quotidien de médecins en soins palliatifs, il y a ces petits actes qu’on porte ou qu’on reçoit d’amour au quotidien.
Même si évidemment quand on est médecin, quand on fait médecine, c’est pour guérir les gens. Mais vous, vous n’arrivez pas à les guérir…
C’est effectivement changer de paradigme. On n’est pas médecin pour les guérir, on est médecin pour les soigner. C’est quelque chose dans lequel moi je me retrouve et je n’ai pas de difficulté là-dedans. Vraiment, on retire aussi une satisfaction professionnelle de savoir que ce patient a pu partir dans des conditions dignes, sans souffrance, qu’il a pu peut-être reprendre contact avec un membre de sa famille avec lequel il était resté sans lien. Qu’il a pu passer quelques heures avec son chien auquel il tient tant avant de partir. Ce sont toutes ces petites choses qui font qu’on l’a accompagné, soutenu, et on en retire une satisfaction tout aussi grande que si on l’avait guéri.
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