Une longueur d’avance pour l’écosystème hydrogène de Provence (5/5)

Convaincus que Provence-Alpes-Côte d'Azur dispose de tous les atouts pour devenir la capitale française - sinon européenne - de l'hydrogène, les élus et les responsables économiques s'appuient notamment sur les quelques pépites qui ont émergé ici ces dernières années, en partie grâce aux recherches conduites dans les nombreux laboratoires de la région, entre Aix, Marseille, Toulon et Nice. En voici trois exemples parmi les plus significatifs et les plus prometteurs

start-ups

Helion Hydrogen Power, une aventure intimement liée au territoire

Née en 2001 à Aix-en-Provence, d’où elle a propulsé sa pile à combustible hydrogène, Helion Hydrogen Power s’est dotée d’installations destinées à préserver son leadership dans la filière pour longtemps, en servant de nombreux usages.

Créé il y a plus de 20 ans, une époque où les technologies de l’hydrogène étaient encore balbutiantes, Hélion Hydrogen Power est devenue entretemps le fer de lance français des piles à combustible hydrogène de forte puissance, plébiscitées pour la conversion des trains à cette énergie qui n’émet ni CO2, ni polluants. ©Barla

Certaines épopées entrepreneuriales démontrent, plus que d’autres, que l’innovation est un long, très long chemin… Helion Hydrogen Power, pionnière de la technologie de pile à combustible hydrogène, en atteste. Voilà plus de deux décennies qu’elle progresse et déploie sa solution sous différentes bannières, explore divers marchés, lève des verrous techniques, financiers, réglementaires, convaincue de viser juste.

Le 10 décembre 2021, lors de l’inauguration de la nouvelle plateforme de production et d’assemblage sur le Technopôle de l’Environnement Arbois-Méditerranée, à Aix-en-Provence où elle est installée depuis sa création, Vincent Mahéo, son président, rappelait le parcours accompli : « Plus de 100 millions d’euros ont été investis en R&D depuis 20 ans pour développer la technologie qui en est à sa 5ème génération et repose sur 40 brevets ». Helion emploie une soixantaine de personnes. La nouvelle unité couvre toute la chaîne de fabrication des cœurs de pile (stacks) et des sous-systèmes (FC Racks)pour des besoins de puissance de 100 kW à plus de 2 MW. Elle a nécessité à elle seule une dépense de près de 6 millions d’euros pour produire annuellement jusqu’à 800 stacks pour une puissance de 30 MW. Soit dix fois plus qu’auparavant. Chaque FC Rack se compose de quatre stacks et peut fournir une puissance électrique de 100 à 200 KW, sachant qu’une péniche est capable de naviguer avec un système à 200 KW.

« Nous croyons très fort à l’hydrogène pour des applications ferroviaires, maritimes et stationnaires, en France et à l’international » martelait le président d’Alstom France, Jean-Baptiste Eyméoud, ravi de détenir dans le giron du groupe depuis avril 2021 la pépite aixoise née en 2001 au sein de TechnicAtome.

Les piles à combustible transforment l’hydrogène en électricité pour alimenter les moteurs des rames de train actuellement en test dans quatre régions françaises et en Corse. ©J.-C. Barla

Des applications toujours plus variées

A l’époque, l’idée consiste à trouver une alternative à la propulsion des sous-marins. Début 2003, une collaboration avec la Délégation Générale pour l’Armement (DGA) est officialisée pour en vérifier la faisabilité technologique. Helion affiche son ambition : mettre au point et développer une pile à combustible 100% française. Filiale d’Areva, TechnicAtome y investit quelques millions d’euros, recrute et positionne l’activité sur le Technopôle de l’Arbois, dans un petit bâtiment sous les pins, offrant au parc aixois ciblé sur l’innovation environnementale une jolie référence.

Petit à petit, la start-up, intégrée en 2006 dans le « Business Group Areva Renouvelables », peaufine sa solution et lui trouve d’autres usages, à l’image d’un groupe de secours électrique fourni au siège du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Saclay, en 2007. « C’est une première mondiale qui fait entrer la pile à combustible dans la compétition des énergies renouvelables » se réjouit alors Patrick Bouchard, président d’Helion. L’équipement fournit 30 kW électriques mais les chercheurs planchent à Aix sur des puissances supérieures susceptibles d’intéresser le monde du transport ou visant à pallier, grâce à la pile à combustible, l’intermittence de production des énergies renouvelables solaires ou éoliennes.

Dès les premiers pas du pôle de compétitivité Capenergies en Provence-Alpes-Côte d’Azur au milieu des années 2000, Helion réussit à faire labelliser un projet R&D sous le nom de « Myrte », porté avec l’Université de Corse Pasquale Paoli, le CEA, le CNRS. Le démonstrateur combinant panneaux photovoltaïques, électrolyseur et pile à combustible pour restituer en soirée l’énergie accumulée en pleine journée, a vu le jour en Corse, à Vignola, près d’Ajaccio, et a été raccordé au réseau en 2012. Il s’étoffe continuellement pour étudier les différents usages de l’hydrogène en zone insulaire.

En 2009, les travaux menés sur le domaine ferroviaire aboutissent avec la SNCF, le CEA, l’INRETS et FCellSys à la 1ère locomotive en Europe fonctionnant à l’hydrogène (projet SPACT 80). Le même partenariat, soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, développe aussi un système pour le transport de marchandises et les engins tous terrains. Un an plus tard, c’est un engin sous-marin autonome qui est testé avec l’Ifremer, ECA, Cybernetix, SNPE et Armines. « L’expérimentation a permis notamment de valider l’intérêt de la technologie, son étanchéité et ses performances en milieu sous-marin » souligne un porte-parole de la société. En 2012, un modèle de groupe de secours équipe un datacenter modulaire d’IP Energy, « Modul’Data », afin de le prémunir de toute défaillance du réseau électrique.

Constitutive de l’eau, l’hydrogène est l’une des molécules les plus répandues sur terre. Dompter ses capacités énergétiques pourrait permettre à l’humanité de passer d’un monde dans lequel l’énergie est rare, chère et polluante, à un monde où l’énergie serait abondante, bon marché et sans conséquences délétères pour l’environnement. ©J.-C. Barla)

En marche vers la 6ème génération

En 2013, l’entité devient Areva Stockage d’Energie, filiale d’Areva, dénomination qu’elle conservera jusqu’en 2019 où elle adopte son identité actuelle, HelionHydrogen Power. Elle n’a pas chômé entre temps, conquérant de nouveaux clients. L’entreprise a ainsi coopéré avec la compagnie maritime CMA CGM sur la mise au point d’un conteneur réfrigéré, avec « L’Equipage » sur une barge de rivière propulsée à l’hydrogène ou avec Ecobio pour lancer à Avignon le premier datacenter français alimenté par une électricité « 100% renouvelable ».

Helion revendique aujourd’hui une centaine de projets. Les nouvelles installations opérationnelles à Aix vont accélérer le déploiement de la pile à combustible sur ses différentes applications de mobilité lourde (ferroviaire, maritime, fluviale, engins de chantier…) ou stationnaires (groupes électrogènes de chantiers, d’événements, groupes de secours pour l’industrie, les télécoms ou les datacenters).

« Avec cet outil, nous restons à la pointe de l’innovation et nous nous donnons les moyens de garder un leadership mondial sur ces technologies futuristes » assurait en décembre Jean-Baptiste Eyméoud. Les investissements à plusieurs millions d’euros ne sont pas pour autant terminés : Vincent Mahéo annonce le lancement des recherches pour créer la 6ème génération de pile à combustible entre 2023 et 2026. « Notre entreprise est un pilier de la transition énergétique » confie-t-il, prêt à relever le défi, en promettant de nouveaux recrutements.

Ce pilier restera bien ancré à Aix, puisque Alstom France prévoit de rassembler vers fin 2023-début 2024 HelionHydrogen Power et les quelque 200 collaborateurs de ses équipes d’ingénierie, de R&D et de production d’Alstom actuellement entre Aix et Vitrolles, sur un nouvel édifice de 6 500 m2, dans la zone du Plan d’Aillane, non loin de l’Arbois…

Jean-Christophe Barla

HySiLabs, la start-up qui veut révolutionner le transport de l’hydrogène

Composé d’un proton et d’un électron, l’atome d’hydrogène et le plus simple – et le plus petit – des atomes du tableau périodique des éléments. Une caractéristique qui a jusqu’à présent empêché de le domestiquer, car le transporter sous sa forme gazeuse – la plus commune – se heurtait à un mur technologique. Avec un atome si petit, impossible ou presque de concevoir des contenants parfaitement étanches, sans compter le fait qu’il faut le comprimer à des pressions très élevées pour pouvoir en transporter des quantités significatives dans un volume raisonnable, c’est à dire transportable par voie routière, comme la citerne d’un camion.

Cet obstacle a priori insurmontable, c’est une start-up installée sur l’Europôle de l’Arbois qui est en passe de le surmonter. Comme souvent les sauts technologiques majeurs, la trouvaille à l’origine d’HySiLabs doit beaucoup au hasard et à la chance. Alors qu’ils travaillaient sur des molécules à visées pharmacologiques, un groupe de chimistes d’Aix-Marseille Université s’est en effet rendu compte qu’un des matériaux utilisés dans leurs expériences, en l’occurrence un composé de silicone, avait la capacité d’absorber et d’emprisonner l’hydrogène, puis de le relarguer à la demande.

Découverte fortuite des chimistes d’Aix-Marseille Université

« Les chercheurs à l’origine de cette découverte fortuite ne savaient pas trop quoi en faire« , raconte Pierre-Emmanuel Casanova, l’un des deux cofondateurs – avec Vincent Lome – de la start-up HySiLabs, dont la création repose exclusivement sur cette trouvaille. « Ce n’était pas utile pour leurs recherches, mais quand Vincent a été mis au courant, il a immédiatement compris l’intérêt que cela présentait de pouvoir obtenir de l’hydrogène à partir d’un vecteur liquide. J’étais à ce moment-là aux Etats-Unis dans le cadre de ma thèse et je suis rentré en France pour creuser cette piste. »

Convaincus d’emblée du potentiel de cette découverte, les deux jeunes entrepreneurs prennent alors attache avec la société d’accélération du transfert de technologies (Satt) d’Aix-Marseille Université et l’incubateur Impulse. La première fait breveter la trouvaille et la seconde accueille la petite société que les deux compères lancent dans la foulée, HySiLabs. « On est alors partis à travers l’Europe pour rencontrer les acteurs de l’écosystème hydrogène qui commençait tout juste à se structurer« , explique Pierre-Emmanuel Casanova.

Lauréat d’EDF Pulse en Auvergne-Rhône-Alpes

A la foire d’Hanovre, les grands groupes industriels à qui ils présentent leur projet sont immédiatement séduits. « Ce sont eux qui ont mis le doigt sur le fait que charger de l’hydrogène dans un vecteur liquide et pouvoir le restituer ensuite à la demande, c’était d’abord une façon beaucoup plus simple et efficace de le transporter par rapport à ce qui se faisait à l’époque. »

De retour en France, les deux jeunes ingénieurs commencent à monter leur dossier, qu’ils présentent au concours EDF Pulse en région Rhône-Alpes-Auvergne, « à l’époque la plus avancée sur l’hydrogène« , justifie-t-il. Nous sommes alors en 2015 et le rôle que pourrait jouer l’hydrogène dans la transition énergétique n’apparaît pas encore clairement aux yeux de nombreux décideurs. A l’époque, seuls les scientifiques et quelques patrons éclairés y voient une vraie solution d’avenir.

Aujourd’hui, le contexte est singulièrement différent. La crise climatique, la crise sanitaire, les bouleversements sur le marché mondial de l’énergie, le retour de l’inflation et, plus récemment, la guerre en Ukraine, ont en effet boosté les recherches de solutions alternatives et ramené l’hydrogène sur le devant de la scène. Une bonne nouvelle pour HySiLabs, dont la technologie « permet d’envisager la reconversion des infrastructures dédiées aujourd’hui aux hydrocarbures pour stocker et distribuer l’hydrogène« , assure Pierre-Emmanuel Casanova.

Sont concernés les pipelines, mais aussi les camions citerne, déjà capable de recevoir le vecteur silicone d’HySiLabs et l’hydrogène qu’il emprisonne. « A la pression atmosphérique, notre solution permet de stocker dans la même volume sept fois plus d’hydrogène que dans une citerne remplie à plusieurs centaines de bars de pression« , affirme-t-il, précisant que cette solution « permet de ne jamais avoir d’hydrogène sous forme gazeuse, qui est son état le plus compliqué à gérer. »

De quoi lever l’une des principales hypothèques qui empêchait jusqu’à présent l’hydrogène d’être considéré comme une source d’énergie de base : son transport très problématique.

Hervé Vaudoit

Enogia met la pression sur le marché des compresseurs pour piles à combustible

Spécialiste de la conception de systèmes permettant de convertir la chaleur en électricité, la société marseillaise Enogia a débuté en 2017 des développements pour les compresseurs d’air dédiés aux piles à combustible. L’entreprise investit massivement pour se positionner sur ce marché à très haut potentiel et vise les 100 M€ de chiffre d’affaires en 2025.

Après avoir fait ses preuves dans les micro centrales électriques Enogia mise aujourd’hui sur le compresseur d’air. ©Enogia

Après avoir fait ses preuves dans les micro centrales électriques fondées sur les systèmes ORC (Organic Rankine Cycle, ou cycle organique de Rankine en français), Enogia mise aujourd’hui sur le compresseur d’air, une pièce essentielle de la pile à combustible permettant de fabriquer de l’hydrogène. « Nous travaillons sur la future génération de pile en aidant les fabricants à concevoir des compresseurs pour la pile à combustible de demain qui sera plus compacte, plus légère et offrant un meilleur rendement en consommant moins d’électricité, explique Arthur Leroux, Pdg et lauréat 2021 de Choiseul Région Sud, précisant qu’il s’agit d’un marché émergent sur lequel nous avons l’ambition d’être les meilleurs, en étant plus flexible que certains grands groupes. »

Arthur Leroux et Antonin Pauchet, Pdg et DG d’Enogia. ©Enogia

Basée dans les quartiers nord de Marseille, Enogia a introduit un tiers de son capital sur le marché boursier le 14 juillet dernier, afin de se donner les moyens de poursuivre son développement sur ce nouveau marché. Un feu d’artifice pour l’entreprise, qui a séduit les investisseurs en levant 12,6 M€ sur l’Euronext. De quoi alimenter à toute vapeur les efforts de R&D de l’entreprise associée à Helion (voir ci-dessus), dans le cadre du programme Qualif’HY, qui vise à accélérer la mise sur le marché de produits innovants dans le secteur de l’hydrogène.

« La Région Sud est bien dotée en termes de technologies de rupture. L’hydrogène fait le lien entre la production d’électricité par intermittence et la décarbonation du transport », ajoute le dirigeant, qui croit au déploiement de l’hydrogène notamment, pour les moyens de transport longue distance qu’il s’agisse d’autocars, de navires, de trains, voire avions.

Nouvelle usine dans les quartiers nord de Marseille

Aujourd’hui, Enogia qui développe et commercialise des micro-turbo machines, entend franchir la barre des 100 M€ de chiffre d’affaires en 2025, dont la moitié issue dans la vente des compresseurs de piles à combustible.

« Nous accélérons le déploiement de notre stratégie pour financer le développement de cette technologie des compresseurs plus compacts. Nous avons comme ambition de nous doter d’une nouvelle usine de production qui sera basée dans les quartiers nord de Marseille », annonce Arthur Leroux qui recrute également des commerciaux expérimentés en France et à l’étranger. Enogia qui emploie 60 salariés annonce 200 collaborateurs sous trois ans. Présente dans plus de 25 pays, l’entreprise a achevé l’exercice 2021 sur un chiffre d’affaires en hausse de 51% à 2,9 M€.

Nathalie Bureau du Colombier

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