Une pluie de milliards en faveur de la filière hydrogène vert en France (2/5)

En attendant que d'autres technologies, notamment la fusion nucléaire développée par Iter à Cadarache, parviennent éventuellement à maturité, l’hydrogène sera fort probablement l'une des clés de l’indépendance énergétique et une des solutions pour atteindre les objectifs mondiaux de décarbonation d'ici 2050

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Ces derniers mois, c’est une véritable lame de fond qui s’est soulevée, associant les scientifiques, spécialistes de la molécule, mais également les industries et le transport, avec un soutien sans précédent des pouvoirs publics et de l’Europe. La France, qui avait déjà engagé 7,2 milliards d’euros pour structurer la filière et avancer dans la R&D, vient de rajouter 1,9 mds d’euros dans la corbeille.

Six jours après le début de la guerre en Ukraine, dans un discours prononcé devant le Parlement européen, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, déclarait que « c’est l’hydrogène qui nous rendra vraiment indépendants » sur le plan énergétique. Quelques mois plus tôt, alors que les tensions sur les approvisionnements en pétrole et en gaz n’existaient pas, elle plaçait déjà l’hydrogène vert au cœur de la stratégie continentale pour atteindre la neutralité carbone. « Il pourra alimenter nos industries lourdes, les camions, les véhicules, chauffer nos foyers… Nous visons une production de dix millions de tonnes en 2030 », soulignait-elle lors du conseil de l’hydrogène, fin 2021.

Ursula von der Leyen, en session extraordinaire au Parlement européen le 1er mars 2022. ©DR

Une dorsale hydrogène de 40 000 km réunissant 21 pays

A travers le plan de relance pour l’Europe, « Next Gen EU », 750 mds € d’investissements ont été validés par les 27 chefs d’Etat, dont un tiers financera le Green deal européen destiné à répondre aux défi de réduction des gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. « Nous voulons créer des vallées et des îles dédiées à l’hydrogène. Nous avons également proposé la révision du règlement sur les réseaux transeuropéens de transport, afin d’intégrer l’hydrogène », a annoncé la présidente de la Commission européenne. Une « dorsale hydrogène » de 40 000 km, réunissant 21 pays, devrait ainsi voir le jour en 2040, pour un coût estimé entre 43 et 81 milliards d’euros.  Quelque 69% de cette dorsale seront constitués d’infrastructures gazières reconverties, le solde, soit 31%, seront de nouvelles canalisations construites spécifiquement pour l’hydrogène. L’enjeu de cette nouvelle source d’énergie dépasse donc largement les frontières de l’hexagone. Il se conjugue à l’échelle des 27 avec le dispositif  IPCEI (Important Project of Common European Interest), créé pour favoriser les projets d’intérêt transnational.

Dans le même ordre d’idée, le lancement en 2020 de l’alliance européenne pour un hydrogène propre a pour objectif de créer un marché, c’est à dire une offre et une demande à l’échelle industrielle, afin de structurer la filière et de tenir les objectifs de décarbonation européens. Cette alliance réunit l’industrie, les pouvoirs publics nationaux et locaux, la société civile et d’autres parties prenantes. Elle vise à déployer de manière ambitieuse les technologies de l’hydrogène d’ici à 2030, en permettant la rencontre entre les acteurs de la chaîne de valeur, production, industrie, mobilité et distribution.

Green Deal et « Fit For 55 » pour atteindre la décarbonation en 2050

L’UE encourage plusieurs projets de recherche sur l’hydrogène dans le cadre d’Horizon 2020 et du Pacte vert européen – ou Green deal. En juillet 2021, l’Europe a ainsi publié son paquet « Fit For 55 », dans lequel figurent également des propositions législatives pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés par le Green Deal, soit une réduction de 55% des gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990. La stratégie européenne consiste à installer en Europe au moins 6GW d’électrolyseurs d’ici à 2024, et 40 GW à l’horizon 2030.

Camion hydrogène
Centre de stockage d’hydrogène à Halle en Belgique. ©Claudio Cerlionze

France Hydrogène alerte les candidats aux présidentielles

À la veille des élections présidentielles, France Hydrogène a adressé un message aux candidats en faveur de la décarbonation des transports. « L’hydrogène doit rester une priorité du prochain quinquennat, insiste Philippe Boucly, le président de France Hydrogène, rappelant que son déploiement doit être soutenu, voire accéléré pour répondre aux enjeux. Si nous voulons tirer parti de l’opportunité unique qui nous est offerte de changer notre modèle énergétique pour décarboner notre économie tout en retrouvant une souveraineté technologique et industrielle, l’hydrogène doit tenir une place de premier plan dans les politiques énergétiques », conclut-il.

Il n’empêche : même si le rythme pourrait être plus soutenu, la France fonde de grands espoirs dans le développement de l’hydrogène. Lancée en septembre 2020, au plus fort de la crise sanitaire, à la grande époque du « quoi qu’il en coûte », la stratégie nationale visant à faire émerger cette nouvelle filière repose sur une enveloppe de 7,2 milliards d’euros d’argent public, pour des besoins globaux évalué à 24 mds € pour mettre en place et amener cette filière à l’échelle. Des sommes destinées à financer plus d’une centaine de projets autour de trois axes principaux : décarboner l’industrie via la filière électrolyse, développer les mobilités lourdes à l’hydrogène et soutenir la recherche et l’innovation. Parmi les objectifs chiffrés, citons l’installation d’au moins 6,5 GW d’électrolyseurs d’ici 2030, afin que la France devienne un fournisseur de premier rang d’hydrogène vert.

150 000 emplois directs et indirects annoncés

Le gouvernement entend donner un signal fort en proposant des objectifs liés à l’hydrogène dans les prochaines programmations pluriannuelles de l’Énergie (PPE).  Le soutien de l’État français à la filière hydrogène a été renforcé en 2021 avec l’ajout d’une enveloppe de 1,9 milliard d’euros, qui complètent les 7,2 mds € engagés dans le cadre Plan national hydrogène annoncé lors de la présentation du plan France Relance. La création de cette filière devrait être pourvoyeuse de 150 000 emplois directs et indirects, selon le ministère de la Transition écologique. En 2020, 2000 personnes seulement travaillaient dans la filière hydrogène en France.

Bras armé du gouvernement pour déployer cette stratégie, l’Ademe a lancé deux appels à projets en 2020; l’un pour soutenir les innovations sur les briques technologiques et les démonstrateurs; l’autre pour accompagner des projets dans les territoires.

En janvier 2020, le CNRS a créé la Fédération de l’hydrogène, qui regroupe déjà plus de 268 chercheurs et 28 laboratoires de recherche. « Il s’agit d’affirmer la place du CNRS comme acteur incontournable de la R&D sur l’hydrogène au niveau international », explique son directeur, Olivier Joubert, directeur de cette nouvelle fédération et chercheur à l’Institut des matériaux Jean Rouxel.

CNRS et CEA, à plein gaz

chimie, recherche
Une collaboration entre le CNRS et H2X-Ecosystems consiste à mettre au point des électrodes imprimées en 3D (structure, matériaux) en vue de l’électrolyse industrielle alcaline (Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR). © Jean-Claude MOSCHETTI / ISCR / CNRS Photothèque

Objectif : coordonner les efforts de recherche de ces nombreuses équipes sur les grands enjeux de l’hydrogène décarboné, allant de sa production à sa purification, en passant par son stockage et la production de systèmes pour son utilisation, comme les piles à combustible. Le CNRS est engagé aux côtés du CEA dans un « Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) » dédié à l’hydrogène décarboné, doté d’une enveloppe de 80 M€.

« Chacun des projets étudiés dans ce PEPR, sous forme de projets ciblés, appels à projets ou appels à manifestation d’intérêt, fait face à ses propres verrous, mais certaines problématiques leur sont communes, explique Abdelilah Slaoui, responsable scientifique de ce PEPR pour le CNRS. Par exemple, développer de nouveaux matériaux et composés à base d’éléments non critiques, élaborer des procédés écologiquement et économiquement viables, construire des systèmes durables et compatibles avec les applications visées et spécifiques à la filière hydrogène. »

Avec un budget hydrogène similaire à celui de l’Allemagne, la France devra encore investir pour que l’hydrogène prenne véritablement sa place dans le mix énergétique.

Nathalie Bureau du Colombier

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