Victimes de TOC, ils vérifient 150 fois qu’ils ont pris leurs clés !

Les troubles obsessionnels compulsifs gâchent la vie de plus d'un million de Français. Comment faire la différence entre des manies de vérification qu'on a (presque) tous et ces TOC qui sont une véritable pathologie et peuvent être dangereux ? Et comment les surmonter ? Explications avec Christelle Quenard, docteur en psychologie cognitive, psychologue et psychothérapeute à Marseille.

Santé

Combien de fois a-t-on dit de quelqu’un au comportement curieux ou déplacé « il est complètement toqué ce type-là ! » Cette expression populaire renvoie à une véritable pathologie qu’on appelle les TOC : troubles obsessionnels compulsifs. On a tous des manies, des habitudes qui sont parfois horripilantes pour notre entourage mais également pour nous-mêmes, comme se laver les mains dès qu’on touche un objet, vérifier 10 fois qu’on a bien fermé la porte à clé ou qu’on a mis ses papiers et son téléphone dans son sac avant de sortir. Est-ce cela qu’on appelle les troubles obsessionnels compulsifs qui toucheraient quand même entre 1 et 2 millions de Français ?

Christelle Quenard : Cela peut faire partie des troubles obsessionnels compulsifs quand on est dans quelque chose qui est répétitif. Et quand on ne le fait pas, ça amène des angoisses. Après, on a tous des petites manies de vérification pour ne pas perdre du temps avec 2 ou 3 faux départs : « J’ai oublié les clés, le portefeuille, etcetera. » Mais on n’est pas forcément sur les troubles obsessionnels compulsifs puisque, si on a oublié un élément, ce n’est pas une attaque de panique, une crise d’angoisse et on ne va pas vérifier 150 fois. Dans les troubles obsessionnels compulsifs, on peut vérifier 150 fois ! Et pour le coup, là, je ne fais pas ma Marseillaise ! C’est possible. On peut vérifier jusqu’à un moment donné où on est suffisamment rassuré pour lâcher ce qu’on appelle la « vérification ».

Je doute tellement que j’ai des TOC…

Quels sont justement ces TOC les plus fréquents ?

On a les tocs de vérification et on a les TOC de lavage de main, ce qu’on appelle les TOC de transmission des virus, de peur de la maladie. Les TOC de vérification, c’est donc vérifier que j’ai bien éteint la lumière, le gaz, et ça je le fais 150 fois. Ce qui est derrière tout ça, c’est le doute. Je doute de vraiment l’avoir fait même si je l’ai sous les yeux. Et tout ce qui est TOC en lien avec le lavage des mains par exemple ou les maladies, là on va travailler un petit peu différemment puisqu’on ne peut pas exposer le patient à une maladie. Donc on va plutôt travailler sur toutes les croyances et toutes les pensées obsessionnelles qui vont amener l’angoisse, et qui vont amener le lavage de mains par exemple.

Une patiente blessée par ses TOC

Quels sont les TOC qui vous ont le plus surprise dans l’exercice de votre profession ?

Il y a toujours des thèmes qui reviennent, des éléments qui sont similaires chez chaque patient. Il y a un TOC auquel je pense : c’est une patiente que j’ai vue en clinique. C’était le nettoyage sous la douche et en fait c’était le nettoyage d’absolument toutes les parties du corps, les trous, les oreilles, le nez, la bouche et tout le reste, c’est-à-dire sphincter, etcetera. On était sur quelque chose de vraiment obsessionnel qui en est arrivé à ce que la patiente soit blessée à vif au niveau de sa peau et dans ses chairs. C’est le domaine qui a trait à la santé mais c’est celui qui m’a le plus interpellé, certainement parce qu’il était visible et je la voyais en souffrance psychologique mais aussi en souffrance physique. Et pour autant l’angoisse était encore là et ça ne venait pas la calmer. Elle constatait aussi qu’elle était blessée, que ça ne venait pas calmer son anxiété et ça ne lui a pas permis de travailler sur les TOC et de prendre de la distance.

Les TOC sont-ils considérés comme une maladie ?

Comme une pathologie, oui. On retrouve dans le DSM-5  (1), qui est la classification des troubles psychiatriques (la version 5 est sortie en France en 2015), les troubles obsessionnels compulsifs

Nos petites manies ne sont pas des TOC !

Est-ce que chacun d’entre nous peut être amené finalement à développer des TOC en fonction de certaines circonstances ?

Non, pas tout le monde. Il faut déjà une base de fonctionnement anxieuse et dans le contrôle pour vraiment en arriver aux TOC. Encore une fois je précise la différence entre les petites manies de ne pas oublier des éléments et de vérifier si j’ai bien fermé la porte deux fois parce que en même temps j’étais sur le téléphone, par exemple, et que je n’ai pas prêté attention. Pour développer des TOC, il faut vraiment qu’il y ait une base anxieuse et une base de recontrôle aussi. Les deux sont souvent liées, voire tout le temps. Je veux dire qu’à partir du moment où j’ai un fonctionnement anxieux, je vais mettre en place des stratégies pour ne pas ressentir cette anxiété. Ce sont des stratégies de contrôle et c’est ce qui définit les TOC.

Les gros « toqueurs » n’ont plus de vie sociale

Avoir des TOC, est-ce forcément grave et pénalisant sur le plan de la vie personnelle, de la vie sociale ?

Pour les petits « toqueurs », non. C’est-à-dire qu’on peut très bien vérifier, et tous les jours, 4 fois ou 5 fois si j’ai fermé la porte et puis point à la ligne. Cela ne prend pas de temps. Même si je ne le fais pas, il y a une petite pointe d’anxiété. Mais bon, si vraiment il y a urgence, OK,  je vais essayer de gérer cette anxiété et je m’en vais. On reste quand même dans le TOC hein, parce que là il y a l’anxiété si je ne le fais pas. Pour les gros, gros « toqueurs », c’est différent. J’ai un patient qui est envahi par les TOC, c’est-à-dire qu’il ne peut pas construire sa vie. Il a terminé ses études juste avant le Bac parce que ses TOC l’envahissaient et depuis c’est impossible de reprendre les études. Il ne peut quasiment pas sortir de chez ses parents. Il a une trentaine d’années, il ne sort que pour les rendez-vous médicaux et il y a tout un rituel avant où il doit changer le t-shirt de la maison, le pantalon de la maison, et regarder l’étiquette 4 fois, le retourner 4 fois et monter les escaliers 2 fois, les monter sur la pointe des pieds et toucher en même temps la rambarde de l’escalier. Donc ça, vous imaginez le temps que ça peut prendre. Et dans une journée, il ne fait que des TOC, que ça.

Des signes d’alerte pour les parents

Ces comportements débutent majoritairement dans l’enfance ou à l’adolescence. Qu’est-ce qui doit alerter particulièrement les parents ?

C’est la réaction des enfants quand il y a des changements. Alors, qu’est ce que c’est que les changements ? Il peut y avoir des changements de meubles par exemple dans la chambre, il peut y avoir des changements de vêtements. Et là on ressent chez l’enfant une réaction d’angoisse, et ça peut se transformer en colère aussi. Cela, ça peut mettre la puce à l’oreille; ça ne va pas forcément virer au TOC qui va envahir la vie de tous les jours. Mais ça peut mettre la puce à l’oreille. Quand il y a un enfant qui remet toujours les chaussures au même endroit, et qu’il ne faut pas bouger les chaussures sinon il commence à râler ou il pleure. Quand on ne peut pas rentrer dans sa chambre, parce que sa chambre devient un peu un sanctuaire. Voilà, ce sont des signes qui doivent interpeller.

Les personnes concernées par ces TOC présentent-elles généralement une autre pathologie d’ordre psychiatrique ?

Non, pas systématiquement. Il peut y avoir des comorbidités. Ce qu’on appelle les comorbidités, c’est une autre pathologie, mais pas systématiquement. Vous pouvez juste avoir quelqu’un qui a un fonctionnement TOC avec ses vérifications, avec ses peurs et ses angoisses, et puis point à la ligne. Et il peut très bien fonctionner tous les jours et s’organiser autour de ses TOC sans que cela prenne toute la place.

Apprendre à canaliser ses TOC

On peut arriver finalement à maîtriser ses TOC et à vivre avec ?

Oui, oui, oui! Si jamais on n’y arrive pas, eh bien dans ce cas-là on vient voir un psychologue qui fait des thérapies cognitives et comportementales, ça c’est vraiment important, et qui s’y connaît au niveau du trouble obsessionnel compulsif. Et puis en travaillant dessus, on peut remettre le TOC à sa place comme je dis à mes patients. Et même quand on ne va pas voir une psychologue, sur des petits TOC, je peux finalement vivre avec sans trop de soucis.

Une question très conjoncturelle : l’épidémie de COVID, avec la recrudescence en matière d’hygiène qui l’a accompagnée, a-t-elle eu un effet sur les TOC, un effet démultiplicateur ?

Oui, oui. Sur le lavage des mains, en sortie COVID ça a flambé sur des personnes qui avaient déjà des TOC mais, comme on le disait tout à l’heure, c’était des TOC qui n’envahissaient pas la vie. Et puis sur toutes les peurs en lien avec les maladies. Oui, ça a flambé à la sortie du COVID. Au cabinet, j’ai eu une demande impressionnante, vraiment exponentielle, à la sortie du COVID.

L’hypnose oui, les charlatans non

Les gens arrivent-ils à surmonter justement ces TOC ? Parce qu’on le dit encore une fois, c’est quelque chose qui est très gênant dans la vie quotidienne, très perturbant.

Oui, ça reste toujours une base de fonctionnement. En gros, le TOC est l’expression visuelle de comment je fonctionne dans ma personnalité profondément. Je suis anxieux, donc je mets en place des systèmes de contrôle et dans ces systèmes de contrôle il y a les TOC. Donc on peut très bien retirer ces TOC mais on ne va pas retirer – la lobotomie ça n’existe plus ! –  le fonctionnement de la personnalité qui est un fonctionnement anxieux et un fonctionnement dans le contrôle. On va travailler sur ça aussi pour amoindrir et que ça permette de ne plus empiéter de manière conséquente sur la vie de tous les jours. Mais on restera toujours un peu anxieux et dans le contrôle.

Quelles sont les autres solutions thérapeutiques pour prendre en charge ces TOC, à part l’accompagnement psychologique dont vous parliez ?

Il y a l’autre versant qui est le versant médical avec les médicaments, les traitements. Et ensuite – alors je ne suis pas objective parce que comme il a été scientifiquement démontré que les TCC (thérapies cognitives et comportementales) étaient avec un traitement les thérapies les plus efficaces pour travailler sur les TOC et c’est ce que je fais comme travail. Après, il faut essayer l’hypnose, chez certaines personnes ça peut très bien marcher aussi. Il peut y avoir plein d’autres techniques. L’idée principale c’est que le patient aille mieux. Donc si les thérapies cognitives et comportementales ça ne marche pas pour lui, même si scientifiquement c’est censé être le plus efficace, je vais les adresser à l’hypnose ou à l’EMDR (une psychothérapie par mouvements oculaires) ou je ne sais quoi encore qui pourrait les aider. Mais pas de charlatans par contre !

(1) DSM-5 : il s’agit du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux édité par l’Association américaine de psychiatrie, parfois controversé en raison d’un risque de surdiagnostic et donc de surmédicalisation (note de la rédaction)

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