Votre coeur surveillé par… votre montre !

Les objets connectés font une entrée fracassante dans notre vie. Jusqu'à devenir de véritables surveillants de nos fonctions vitales. Certaines montres sont capables de réaliser un électrocardiogramme qui sera envoyé au cardiologue ! Mais les médecins pourront-ils donner suite aux alertes des patients ? Ils sont déjà débordés ! Le professeur Jean-Claude Deharo, chef du service de cardiologie et rythmologie au CHU Timone (APHM), recommande déjà ces objets à certains patients à risque, tout en avertissant sur leur usage.

Santé

Professeur Jean-Claude Deharo : Les objets connectés font partie de notre vie quotidienne, pour surveiller le coeur mais aussi d’autres paramètres. Parmi ceux qui surveillent le coeur, on va parler de ceux qui surveillent le rythme cardiaque. Leur arrivée a été un véritable séisme pour nous, médecins. Parce que nous avions eu la faiblesse de penser initialement que nous allions être les maîtres du jeu, conseiller nos patients et gérer un flux de données relativement important. Les constructeurs ont fait un autre choix en faisant des produits grand public pour que ce soit les patients, les consommateurs, qui soient les utilisateurs premiers et décident après ce qu’ils feront de ces données là.  Ce qui peut être un modèle très intéressant aussi.

La montre devient un outil de dépistage des maladies

Concrètement, sur quoi une montre connectée peut-elle nous alerter sur la santé de notre coeur ?

Il y a deux grands types de montres connectées. Celles qui n’enregistrent que la fréquence cardiaque. Elles jouent finalement le rôle d’une prise du pouls de votre fréquence cardiaque. Elles utilisent en général des lumières dans la longueur d’onde du vert et délivrent une information sur la fréquence cardiaque qui est extrêmement fiable. Mais ce n’est QUE la fréquence cardiaque. Pour nous, cardiologues, l’élément le plus important à connaître est aussi un électrocardiogramme (ECG). Seul un certain nombre de montres font un ECG, et dans ce cas la montre est quasiment un objet de surveillance médicale.

Mais qu’est-ce que j’en fais, moi, en tant qu’utilisateur, de ces données ? Ne vont-elles pas m’inquiéter pour rien finalement ?

Si on s’en sert pour faire du dépistage, du screening, qui m’alerte parce que ma fréquence cardiaque est trop élevée et qu’elle m’invite à faire un ECG que j’irai ensuite montrer à mon cardiologue, on est dans le domaine du dépistage. On n’a pas la certitude que le dépistage soit efficace à l’échelle d’une population. Mais à titre individuel, on a quelquefois des situations qui ont pu être dépistées et traitées. Ainsi d’un patient qui ne savait pas qu’il faisait des arythmies et qui se retrouve avec son diagnostic. Un patient qui était un peu fatigué mais on n’avait pas compris pourquoi. Son épouse ou ses enfants lui ont offert cette montre et il arrive à faire une corrélation entre ses épisodes de fatigue et ses arythmies. Donc oui, cet objet de dépistage peut être utile si vous prenez la précaution d’enregistrer un électrocardiogramme (il faut une montre sophistiquée) et d’aller le montrer à votre médecin.

On devrait tous avoir un oxymètre à la maison !

Quels sont les autres objets connectés dont peut bénéficier le public hors prescription médicale ?

Il y a un objet qui dépiste pas mal de choses, c’est l’oxymètre qui a été mis très à la mode par la période Covid. Beaucoup de gens ont à la maison un petit appareil qu’ils mettent au bout du doigt (NDLR : une pince qu’on achète en pharmacie) et qui mesure leur pression en oxygène dans le sang et la fréquence cardiaque. Il leur permet de se rendre compte que leur coeur est irrégulier.

Il y a des balances connectées. Certaines, de par le contact des pieds avec le métal, vont être capables de faire une mesure de la fréquence cardiaque, et donc de vous alerter. Il existe également un objet très simple qu’utilisent les sportifs, c’est le cardiofréquence-mètre qui mesure la fréquence cardiaque par l’intermédiaire d’un bandeau que l’on positionne sur la poitrine, plutôt qu’au poignet pour la montre.

« Je conseille à des patients d’avoir une montre connectée »

C’est lui qui alerte pour dire « ne vous mettez pas dans le rouge » quand on fait un footing ou du vélo ? Quelle est la fréquence maximale, 180 pulsations/minute ?

Il n’y a pas de chiffre absolu. C’est plutôt 220 moins son âge. Donc 180 c’est pour quelqu’un de 40 ans. Mais si cette personne a 30 ans, elle peut monter à 190. Et si au contraire elle a 50 ans, ce sera 170. Retenons qu’il n’est pas interdit d’atteindre cette fréquence là, mais on est à une fréquence maximale qu’on ne va pas garder très longtemps. Souvent on est fatigué d’ailleurs, et on revient à une fréquence raisonnable.

Concernant les personnes atteintes d’une affection cardiaque connue, quels sont les outils dont vous disposez en tant que médecin ?

Les outils connectés que l’on a sont de plusieurs ordres. Il y a ces objets connectés que nous conseillons d’adopter à des gens qui ont une pathologie ou un symptôme cardiovasculaire.

La montre ?

La montre par exemple ! Mais la montre un peu sophistiquée, celle qui fait un électrocardiogramme. Pour quelqu’un qui a des palpitations, c’est-à-dire le coeur qui bat un peu vite de temps en temps mais sans savoir très bien à quoi c’est dû, c’est un excellent outil ! Il n’aura plus qu’à enregistrer un tracé au moment où il ressent les palpitations et il nous l’enverra par email. Ce qui, au passage, fait un flux de données important à gérer. L’avenir sera probablement centré sur ces points là.

Des patients appelés en urgence suite à une alerte médicale

Il y a d’autres objets connectés, qui sont vraiment des objets médicaux. La balance connectée, le tensiomètre connecté, et puis, pour nous, un certain nombre de prothèses cardiaques que l’on implante et qui sont connectées aussi. Tout un panel d’objets aujourd’hui nous transfère des informations sur les patients. Je retiendrai pour le grand public les montres, les balances, les tensiomètres.

Est-ce qu’à la suite de transmissions de données, il vous arrive de faire venir des patients en urgence ?

Absolument ! Le mot « urgence » est un mot tabou pour nous. Toutes les informations données par ces objets connectés nous sont transmises soit en temps réel si le patient est vraiment sous surveillance médicale; soit par l’intermédiaire du patient, et tout cela arrive sur des ordinateurs, sur des boîtes mail, et n’est jamais consulté en urgence. C’est consulté au calme, dans un délai qui peut être d’une semaine ou quelquefois de deux semaines.

Bientôt tous sous surveillance de notre portable !

Donc, en aucun cas, il ne faut attendre une réaction urgente de notre part. Par contre, le fait d’avoir les informations nous amène quelquefois à appeler les patients et à leur dire qu’il faut aller consulter. Mais on ne va jamais intervenir en urgence à la suite d’une réception de ces données, d’abord tout simplement parce qu’on n’est pas équipés pour l’analyser en urgence. On l’explique bien au patient. C’est plus un appoint.

Pensez-vous qu’avec les progrès de la technologie, nous serons tous bientôt sous surveillance médicale, via notamment nos téléphones portables ?

Vous posez une question qui est peut-être plus d’ordre philosophique ou de société. Très probablement, oui ! Les industriels qui développent ces objets connectés se tournent plutôt vers le grand public que vers nous, et je crois qu’ils vont continuer à le faire. Ils vont de plus en plus nous séduire par ces objets. Il est probable que, dans l’avenir, tout le monde saura dire combien de pas il a fait dans la journée ou quelle fréquence cardiaque il a atteint.

Il restera à savoir ce que nous ferons de ces outils. Sera-t-il utile de les transférer en permanence, d’en tirer des conséquences médicales ? Aujourd’hui, en termes de dépistage des pathologies, on n’en a pas encore la preuve.

Ces objets rassurent les patients

Estimez-vous que ces objets connectés permettent à une partie de vos patients de mieux vivre, d’être rassurés ?

Indiscutablement, oui ! Avoir une possibilité d’obtenir certains paramètres et de les transmettre à son médecin, ou bien les analyser soi-même, c’est sûrement une source de réassurance. Mais il y a toujours un pas entre ce qui peut être utile à l’échelon individuel et à l’échelle d’une société. Utile et « rentable » en terme médical. On n’en est pas encore certains.

Le risque de s’inquiéter en permanence, pour rien…

Et puis il ne faut peut-être pas tomber dans l’hypocondrie, cet état où j’ai toujours peur d’avoir quelque chose ?

C’est exactement ça ! Le patient risque de tomber dans une situation où il va être en permanence en train de s’alerter pour quelque chose qui n’est pas forcément important. Et puis la société ne peut pas non plus prendre en charge toutes ces alertes qui vont inquiéter les patients. Donc il va y avoir un travail à faire dans ce domaine. Nos sociétés savantes se sont largement emparé de la question et sont en train d’y travailler. Est-il utile de surveiller tout le monde avec tel ou tel paramètre, et est-il éthique de le faire ? Est-il rentable sur le plan médico-économique de le proposer aux patients, aux sujets, donc même à ceux qui ne sont pas patients ?

 

cet article vous a plu ?

Donnez nous votre avis

Average rating / 5. Vote count:

No votes so far! Be the first to rate this post.

Partagez vos commentaires.