Le magnat des télécoms, qui possède déjà 11% des actions du groupe de presse marseillais de Bernard Tapie, devrait racheter les 89% restants aux héritiers de l’ancien président de l’OM dans les prochaines semaines. C’est en tout cas l’hypothèse qui se dessine depuis la disparition de « l’homme aux mille vies »
Le groupe de presse La Provence, que Bernard Tapie avait racheté fin 2013 aux héritiers de Robert Hersant, le grand magnat de la presse française des années 60/70, devrait très rapidement passer dans le giron de la holding NJJ, propriété du businessman Xavier Niel, patron de Free et actionnaire du journal Le Monde. La transaction devrait être conclue « d’ici la fin du mois d’octobre », selon une source proche de la famille Tapie.
Déjà propriétaire de 11% des actions du groupe La Provence depuis 2019, la holding de Xavier Niel dispose depuis cette date d’un droit prioritaire de rachat des 89% détenus par Bernard Tapie et d’un droit de véto sur tout nouvel entrant au capital du groupe.
Un double privilège qui le désigne comme l’incontournable repreneur du grand quotidien marseillais, d’autant qu’il a, selon ses proches, toujours promis à Bernard Tapie qu’il ne rachèterait le journal après sa disparition si aucun membre de la famille ne s’y opposait. Mais des 4 enfants de l’homme d’affaires, seul Stéphane – qui occupe un poste de direction au sein du groupe La Provence depuis 2014 – souhaiterait le conserver, au contraire de Nathalie, Laurent et Sophie, qui n’ont jamais manifesté la moindre intention de s’impliquer dans la gestion d’un titre de presse.
L’incontournable repreneur du grand quotidien marseillais
De prime abord, la voie semble donc dégagée pour Xavier Niel. Mais dans les faits, la situation est un brin plus compliquée. Placé sous administration judiciaire depuis l’annulation de l’arbitrage controversé qui avait permis à Bernard Tapie de se refaire une santé financière, le groupe La Provence ne peut pas être vendu sans l’aval de l’administrateur provisoire, qui n’a pour l’heure rien dévoilé de ses intentions.
L’appel introduit par le parquet après la relaxe générale prononcée en 2019 dans l’affaire de l’arbitrage de 2008 devait en effet être rendu le 6 octobre, mais la cour d’appel a reporté sa décision au 24 novembre. L’arrêt qu’elle rendra alors ne concernera pas Bernard Tapie, son décès ayant de facto éteint toute procédure pénale à son encontre, mais ses cinq co-prévenus, notamment Stéphane Richard, le Pdg d’Orange, à l’époque directeur de cabinet de la ministre des Finances Christine Lagarde, l’avocat Maurice Lantourne et le magistrat Pierre Estoup, suspectés par la justice d’avoir « manipulé » la procédure d’arbitrage qui avait abouti au versement de plus de 400 millions d’euros (avant remboursement de sa dette fiscale) à Bernard Tapie dans le litige qui l’opposait au Crédit Lyonnais et à ses satellites depuis le milieu des années 1990, à propos de la vente d’Adidas.
L’homme d’affaires aurait in fine touché un peu plus de 200 millions d’euros dans l’opération et avait consacré une partie de cette somme, environ 35 millions d’euros, au rachat de La Provence. Soit la somme négociée début 2021 avec le promoteur marseillais Constructa pour le rachat des locaux de La Provence à Bougainville, dans le 15e arrondissement de Marseille, où la direction, la rédaction, la régie publicitaire et l’imprimerie du groupe de presse sont installés depuis 1974. Depuis cette opération immobilière a été remise en cause, mais c’est un autre sujet…
Un avenir commun avec Nice-Matin
Quelle que soit l’identité du futur propriétaire, le sort des rotatives est déjà réglé. D’ici 2023, un centre d’impression commun au groupe La Provence et à Nice-Matin, que Xavier Niel possède en intégralité depuis début 2020, devrait en effet ouvrir ses portes au Luc-en-Provence (Var), un site équidistant de Marseille et de Nice, où l’ensemble des journaux des deux groupes devraient être imprimés.
Une réalité qui rend plus cohérente encore l’hypothèse du rachat de La Provence par NJJ dans de brefs délais. Et qui permettrait au magnat des télécoms de concrétiser, avec 20 ans de retard, l’ambition de Jean-Luc Lagardère et du groupe Hachette Filipacchi Médias, qui avait racheté le groupe marseillais à Edmonde Charles-Roux, veuve de Gaston Defferre, en 1987, avant que son fils Arnaud ne le cède aux héritiers Hersant en 2007.
A l’époque, Jean-Luc Lagardère rêvait de créer un puissant groupe de presse sur la façade méditerranéenne, du Rhône jusqu’à la frontière italienne, en y incluant la Corse. Dix ans après avoir mis la main sur les journaux de Marseille, il créa La Provence en fusionnant La Provençal, le « journal des patriotes socialistes et républicains » fondé en août 1944 par Gaston Defferre sur les cendres du « Petit Provençal », et Le Méridional, positionné à droite, que le « maire historique » de Marseille – ainsi que le qualifiait Jean-Claude Gaudin -, avait sauvé de la faillite en 1971.
Un an après cette fusion, en 1998, Jean-Luc Lagardère sortait vainqueur du conflit qui l’opposait depuis 1994 à la famille Bavastro, co-actionnaire du groupe avec la famille Comboul, et prenait le contrôle du groupe Nice-Matin. Avec en tête l’idée de mettre fin à la concurrence frontale des journaux des deux groupes en Corse (Nice-Matin possède alors Corse-Matin, qui survivra, alors que La Provence détient La Corse, qui disparaîtra en 1999) et d’optimiser leurs activité industrielles en créant une imprimerie commune dans la région de Brignoles. Au début des années 2000, les rotatives des deux journaux sont en effet en bout de course.
Un projet de fusion qui ne date pas d’hier
L’occasion est trop belle de réaliser d’importantes économies d’échelle en négociant un achat groupé. Las, Michel Comboul, devenu Pdg de Nice-Matin après la mort de son prédécesseur, Gérard Bavastro, s’opposera à cette solution. Les deux groupes achèteront donc de nouvelles machines chacun de leur côté et n’ouvriront en commun qu’un centre d’impression à Lucciana, en Corse, pour imprimer Corse-Matin, jusqu’alors acheminé toutes les nuits par avion depuis le continent. L’avenir de cette imprimerie dans l’île-de-Beauté est aujourd’hui très incertain, même si La Provence est devenue début octobre l’unique propriétaire de Corse-Matin, en rachetant les 49% d’actions que détenait encore le groupe Nice-Matin dans le quotidien insulaire.
Un feuilleton judiciaire pas encore terminé
Une partie de l’avenir de l’entreprise reste néanmoins tributaire des futures décisions de justice. Car sa disparition n’a pas éteint toutes les actions en cours devant les tribunaux, à commencer par la contestation au civil de l’annulation de l’arbitrage lancée par Bernard Tapie. Les avocats de l’ancien président de l’OM doivent plaider début décembre dans cette affaire.
S’ils obtiennent gain de cause, les 4 enfants de Bernard Tapie pourraient reprendre totalement le contrôle sur un groupe aujourd’hui sous administration judiciaire. « Cela ne changerait rien sur le fond, assure un proche de la famille, puisque seul Stéphane serait prêt à reprendre le flambeau, mais qu’il n’aura pas les moyens de racheter seul les parts de ses sœurs et de son frère. » Ce qui renforcerait l’hypothèse d’une reprise par Xavier Niel.
De nombreux départs à prévoir
Dans ce cas de figure, La Provence connaîtrait sans aucun doute de profonds bouleversements. Un changement d’actionnaire majoritaire dans un titre de presse ouvre en effet la possibilité pour les journalistes de démissionner en percevant des indemnités au montant fixé par la loi : un mois de salaire brut par année de présence jusqu’à 15 ans d’ancienneté et peu ou prou la même chose au-delà de 15 ans, même si c’est une commission paritaire qui en fixe le montant précis. Et comme de nombreux journalistes parmi les 180 employés par La Provence ont largement plus de 50 ans, l’effet d’aubaine pourrait jouer à fond. On assisterait alors à un renouvellement important des effectifs de la rédaction, avec toute possibilité pour le repreneur de restructurer l’entreprise en termes de ressources humaines. Mais ça, c’est déjà une autre histoire.
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