1 million de Français ont « mal partout » et 80% sont des femmes

La fibromyalgie. Derrière ce nom étrange se cache une maladie encore méconnue, qui rend la vie impossible. 80% des victimes sont des femmes. La docteur Stéphanie Ranque-Garnier en est l'une des spécialistes. Elle est praticienne au centre d'évaluation et de traitement de la douleur à l'hôpital de la Timone (APHM) et propose des conseils pour s'en sortir. Car c'est possible !

Santé

C’est une pathologie que l’on connaît mal. On l’appelle d’ailleurs parfois « la maladie des gens qui ont mal partout ». Longtemps, on a associé la fibromyalgie à une maladie « de bonne femme qui se plaint tout le temps », « qui a l’œuf » comme on dit. Le regard sur cette pathologie de la douleur a un peu changé depuis que des stars comme Lady Gaga et Morgan Freeman ont révélé leur souffrance. La fibromyalgie toucherait plus d’un million de Français. Cette maladie des gens « qui ont mal partout », comment la définir ?

 

Docteur Stéphanie Ranque-Garnier : Cela va être une anomalie du système qui code la douleur. C’est-à-dire qu’au lieu d’être une douleur symptôme, comme on peut avoir une douleur quand on se met un clou dans le pied ou qu’on a une articulation qui s’enflamme ou encore une sciatique, là c’est une maladie. C’est-à-dire que le système de la douleur s’est embrasé et on a au niveau cérébral ce qu’on appelle la nociplastie qui s’est mise en place. J’explique le terme : c’est de la neuroplasticité, c’est-à-dire que le cerveau est une pâte à modeler qui va se modeler en fonction de ce qu’on lui demande de faire, ce qu’on pense le plus souvent, ce qu’on ressent le plus souvent. Et là, à force d’avoir ressenti souvent des douleurs et du stress, ou un manque de sommeil, cette nociplastie qui est de la neuroplastie de la douleur et de l’alarme du cerveau s’est mise en place et fait ressentir donc des douleurs dans le corps entier, mais aussi beaucoup de fatigue. C’est accompagné de troubles cognitifs, donc de difficultés d’attention, de concentration, de troubles du sommeil qui est non réparateur et de tout un tas de symptômes qui sont liés à une anomalie de la régulation du système nerveux autonome.

Tout stress de l’organisme peut déclencher la fibromyalgie

Connaissez-vous systématiquement les causes de cette douleur ? On dit qu’un traumatisme physique ou psychique pourrait la déclencher…

On ne connaît pas systématiquement les causes mais on sait, par l’expérimentation, ce qui peut déclencher une fibromyalgie chez la souris : c’est l’empêcher de dormir ou lui faire mal de manière répétée à une papatte. Ce n’est pas sympa pour la souris mais ça nous a permis de comprendre qu’à force d’avoir des douleurs répétées, on peut rentrer dans cette nociplastie. Donc quand on a une maladie, quelle qu’elle soit, ou un accident qui a fait mal, qui fait mal depuis un moment, au bout d’un moment cette chronicisation de perception douloureuse peut faire entrer dans la nociplastie étendue. On peut aussi avoir des cas, effectivement, de traumatismes physiques ou psychiques. En fait, tout stress de l’organisme – que ce soit un stress physique ou psychique, ou même une infection – peut faire rentrer a priori le patient ou la patiente – dans 80% des cas ce sont des femmes – dans la fibromyalgie. Sachant que chez la souris c’est aussi 80% de femelles, ça c’est pour couper court à toute polémique liée à la culture des femmes qui ont un gros poil dans la main…

« Les femmes atteintes ne sont pas « hystéro-folles » !

« Ou qui ont l’œuf » – c’est une expression que vous employez… Pourquoi les femmes sont-elles plus sensibles à cette maladie que les hommes ?

Alors ça, on ne le sait pas. Je n’emploie pas ce terme là en fait, ce sont plutôt des patients – ou des confrères d’ailleurs hein ! – qui ont pu employer des termes terribles comme « hystéro-folles » ou des termes très, très difficiles à entendre et particulièrement difficiles à entendre par les patients puisqu’en fait c’est mettre en doute la véracité de leurs propos, de leur maladie qui est une vraie maladie, qui est une maladie non psychiatrique, qui est une maladie somatique, reconnue comme telle par la Classification internationale des maladies (la CIM-11, la dernière classification, publiée le 1er janvier 2022 par l’Organisation mondiale de la santé).

On ne sait pas aujourd’hui pourquoi ça touche principalement pour 80% des femmes mais ça touche aussi donc 80% des femelles souris. C’est une maladie qui doit être en lien, peut-être, avec une sensibilité soit hormonale, soit génétique.

Les hommes s’en sortent mieux et plus vite

Elle peut survenir à tout âge ?

Oui ! On a des enfants dans le centre (de la Timone). Notre pédiatre Cécile Mareau s’occupe des jeunes patients. La moyenne d’âge en général c’est dans les 50 ans, c’est une femme, et puis on s’aperçoit que ça peut être des hommes qui ont souvent des symptômes plus importants que les femmes, quand ils arrivent chez nous en tout cas. Et pour une raison que j’ignore aussi, ils s’en sortent souvent mieux et plus vite.

Comment savoir que l’on souffre de fibromyalgie et ne pas la confondre avec une autre pathologie comme l’arthrose par exemple ? Existe-t-il des signes caractéristiques ?

Il y a un diagnostic purement interrogatoire finalement puisqu’on n’a, pour l’instant, aucun examen dit paraclinique, donc aucune imagerie, aucune radiologie, aucune biologie qui nous permette d’avoir un diagnostic. On a un diagnostic qui est établi par l’American Collège of Rhumatology qui aujourd’hui a complètement élargi son diagnostic et qui n’est plus un diagnostic dit « d’élimination ». C’est-à-dire qu’on peut très bien avoir une maladie rhumatologique et une fibromyalgie. Souvent c’est associé en fait. Dès qu’on a une maladie qui peut faire mal, qui peut stresser l’organisme d’une manière ou d’une autre, on peut déclencher cette fibromyalgie. Alors faire le distinguo des deux, c’est tout simplement aller faire le diagnostic dit « étiologique », donc le diagnostic des causes, des inflammations, des éléments bien caractéristiques de maladies auto-immunes, de maladies rhumatologiques, de maladies infectieuses éventuellement.

On a des caractéristiques qui font comprendre qu’on est, non seulement avec cette pathologie, mais on a cette amplification du système de la douleur qui fait poser aussi un diagnostic de comorbidité : il y a deux maladies côte-à-côte, la fibromyalgie et la maladie initiale.

Votre médecin généraliste peut faire le dépistage

Ce diagnostic, où peut-on le faire dans notre région par exemple ?

Déjà, un médecin généraliste peut avoir une idée de l’apparition de cette fibromyalgie avec un diagnostic, un dépistage en tout cas, qui peut se faire par un questionnaire, le questionnaire First, très facile à réaliser. Ce sont des questions tout simplement et donc ça fait évoquer ce diagnostic qui va se confirmer avec un questionnaire un peu plus long, qui est composé en deux parties. J’en parle parce que c’est assez simple. Il y a 19 questions concernant l’étendue des douleurs dans le corps entier, parce qu’une fibromyalgie c’est une nociplastie étendue. Cela touche le corps entier, c’est une des caractéristiques.

Et puis on a un score de sévérité des symptômes puisqu’on a donc les 3 symptômes princeps que sont la fatigue, le sommeil non réparateur et les troubles cognitifs, donc les difficultés de concentration (mémorisation), d’attention. Ces symptômes sont associés à tout un tas de symptômes qui peuvent aller du prurit – de sensations que ça gratte quelque part – à la sécheresse buccale, aux troubles digestifs, aux troubles urinaires. On a vraiment une atteinte globale de tout le système nerveux autonome, donc toutes les cellules qui sont commandées par le système nerveux autonome peuvent être touchées et dysfonctionner.

La vie familiale, sociale et professionnelle est impactée

Ce que vous venez de décrire, ce sont les principaux retentissements sur la vie quotidienne des gens ?

La vie quotidienne des gens est altérée à cause de la qualité de vie globale, qui est altérée. Quand on a des douleurs comme ça, partout, tout le temps, qu’on n’explique pas bien, avec cette fatigue qui ne s’améliore pas au repos, qui donc fait vraiment rentrer les personnes dans un cercle vicieux qui impacte absolument tous les domaines de leur vie familiale, sociale, professionnelle, évidemment on a toute cette qualité de vie qui est altérée. Et souvent des comportements qui vont alimenter, malgré eux, cette problématique.

J’ai bien compris que le Doliprane ne va pas suffire ! Comment cette maladie est-elle prise en charge ? Comment peut-on soulager durablement les malades ?

Effectivement ! Non seulement le Doliprane ne va pas suffire mais globalement on n’a aucun traitement médicamenteux qui fonctionne sur cette maladie. Evidemment il faut traiter tout ce qu’on peut traiter, donc les causes de douleur traitables comme une migraine, une maladie auto-immune, une maladie rhumatologique, infectieuse ou autre. Il faut les traiter puisqu’on va arrêter en fait de « donner à manger » à la source du système de la douleur.

Relaxation, méditation, sommeil

Il faut ensuite réfléchir avec le patient à tout ce qui peut le stresser – sur le plan familial, social, professionnel… Exemple : aujourd’hui il pleut.  Eh bien on ne peut pas vraiment choisir d’empêcher la pluie. Par contre, on peut décider d’arrêter de se faire toucher par une goutte de stress. Quand les problèmes arrivent, il faut trouver des moyens pour déléguer, apprendre les techniques psycho corporelles de détente, de relaxation, apprendre la méditation pleine conscience qui permettra d’éviter d’être noyé par l’anticipation anxieuse de la suite ou par la rumination du passé. Dépister tous les éléments qui vont perturber le sommeil, en dehors de la maladie elle-même qui abîme la structure du sommeil. Donc les apnées du sommeil, les jambes sans repos. Aller chercher des stress post-traumatiques aussi puisque ce sont des éléments qui vont perturber aussi ce système et les traiter.

En gros, il faut traiter tout ce qui est traitable, que ce soit des éléments pourvoyeurs de douleur ou de stress. Et il faut apprendre aux patients aussi à se départir de ses sentiments d’injustice, sa dramatisation, sa perte du sentiment d’efficacité personnelle, sa colère, ses culpabilités… Tous ces éléments là irritent également tout le système. Vous allez me dire que c’est un peu psychiatrique comme histoire ? Non ! Ce sont des conséquences, ou peut-être des causes aussi, mais en tout cas des éléments qui alimentent, qui co alimentent ce système du stress en fait et de la douleur, et qu’il faut aller traiter.

Activité physique : impérative mais sans excès

Enfin, et ça c’est le gros de l’histoire, c’est aller apprendre à se comporter en n’en faisant plus ni trop, ni trop peu. Donc réguler ses comportements et apprendre à faire de l’activité physique adaptée, donc ne plus être dans l’idée qu’on ne peut plus faire le sport qu’on aimait faire, mais apprendre à faire une activité qui va être adaptée à ses goûts – le plaisir doit être vraiment un pilier du traitement -, à ses besoins physiologiques et aux besoins liés à la maladie, et à sa condition du jour. Tout ça, c’est ce qu’on apprend avec un traitement dit « multimodal ». On va être plusieurs praticiens – puisqu’on n’a pas de traitement médicamenteux réel efficace, c’est éventuellement des coups de pouce – à s’occuper des patients de façon à ce que tout soit traité au mieux.

« Oui, on peut sortir de cette maladie ! »

Cette pathologie peut-elle s’améliorer avec le temps, et même disparaître ?

Cette pathologie peut réellement s’améliorer. Ce n’est pas tant avec le temps, ça ne se fait pas tout seul hein ! C’est en mettant en pratique les éléments dont on vient de parler. Les patients me disent « J’en suis sorti ». Quand on leur pose vraiment la question, ils disent « Bon, des fois j’ai une petite crise qui revient ». C’est vraiment une des caractéristiques de la maladie, c’est souvent que ça vient par crises. Mais comme il n’y a plus de dramatisation, comme ils savent que ce sont des crises qui vont passer et qu’ils savent ce qu’il faut faire pour se sentir mieux, eh bien ce n’est plus un problème. Ce n’est plus le centre de leur vie donc ça n’est plus un souci pour eux. On peut estimer qu’on sort de cette maladie, oui !

A tous ces gens qui, je le redis, « ont mal partout », quels conseils peut-on donner pour leur vie quotidienne ? Par exemple en matière d’hygiène de vie, d’activité physique ou d’alimentation. Est-ce qu’il y a des choses à faire et ne pas faire ?

Il faut toujours s’intéresser au trépied « mental, physique et nutritionnel ». Je crois qu’un des mots-clés c’est le plaisir. Aller chercher des choses qui font plaisir est un des éléments qui peut vraiment être un moteur énorme. Sortir du cercle vicieux dans lequel on est toujours à peu près tombé. Apprendre toutes les techniques et toutes les choses qui peuvent permettre d’adapter ses activités. Donc toutes les activités – qu’elles soient familiales, sociales ou professionnelles – doivent s’adapter aux goûts, aux besoins et à la condition du jour.

Une maladie terrible car elle ne se voit pas

C’est un petit peu difficile en général de faire comprendre à l’entourage ce dont on souffre. J’aide l’entourage en expliquant que c’est comme si on avait peut-être une grippe mais sans le virus et sans la fièvre. Cela fait un peu mieux comprendre ce que le patient peut ressentir. Parce que ça ne se voit pas à l’extérieur. C’est terrible. On voit des patients qui ont l’air d’aller très, très bien, qui sont bien habillés, qui continuent, qui avancent. On ne peut pas comprendre que c’est un véritable handicap très, très important, qui abîme vraiment toute leur condition de base.

Les conseils sont des conseils finalement qu’on pourrait donner à tout le monde : c’est-à-dire faire attention à son alimentation, essayer de privilégier les fibres, limiter le sucre, les aliments ultra transformés, s’hydrater très, très souvent. Et puis au niveau du sommeil – vraiment le sommeil c’est un point très important – essayer d’aller dépister s’il y a des problèmes qui abîment le sommeil. Essayez de trouver des rituels qui vous permettront d’améliorer ce sommeil. Fractionner les choses, fractionner les activités.

4500 pas par jour, c’est déjà très bien !

Sur l’activité physique, c’est assez simple en fait. Il y a des mots-clés. Il ne faut pas travailler en intensité, ne pas aller faire des efforts trop importants ou trop longs. Faire des petites choses qui vous font plaisir; ça peut être juste sortir le chien, faire des exercices de stretching en s’inspirant de son chat, des choses comme ça avec des amis. Trouver des motifs qui au quotidien vous permettent d’assumer les 4500 à 7000 pas par jour. Il faut essayer de les avoir, minimum 4500 pas. Ce n’est pas la peine de dépasser 7000, ce serait trop.

Travailler sur tout ce qui est équilibre et coordination, c’est ce qui a l’air d’être le plus efficace contre la nociplastie. On fait de la neuroplasticité du côté de l’équilibre et de la coordination, ce qui a l’air d’être un bon antidote. Et puis trouver tous les moyens pour comprendre comment ne pas dépasser certaines limites dans l’activité physique, ça se calcule en fait. On voit au bout de combien de temps jusque là ça allait et puis après ça on le paye, soit immédiatement, soit après, et ça c’est un temps qu’il faut diviser par 2.

Le plaisir et pas la performance

Quand on fait de l’activité physique, il ne faut pas se faire mal, ne pas aller jusqu’à avoir mal ?

Ah oui ! Il faut évidemment oublier le « no pain, no gain » (littéralement : « pas de douleur, pas de bénéfice »). Il est hors de question d’aller chercher la performance ou l’esthétique. Il faut vraiment imposer ses propres règles et donc c’est le plaisir. Et c’est être systématiquement à la fin d’une session plutôt mieux qu’avant, c’est-à-dire plutôt mieux au moins en termes de concentration, d’humeur et de fatigue. Même si on est à douleur équivalente, déjà ce sera quelque chose qui va aussi préparer le sommeil qui suit. Et donc on sera toujours bon comme ça. En fait on arrive à calibrer comme ça.

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