Cancer du sein : 35% des femmes passent au travers du dépistage

Le docteur Julia Maruani est gynécologue, présidente du collège de gynécologie médicale Marseille Provence. Elle déplore que 35 à 40% des femmes de plus de 50 ans échappent au dépistage du cancer du sein alors que 60.000 nouveaux cas sont recensés chaque année en France et que ce cancer tue 12.000 femmes. C'est pourquoi elle sera à bord du "Dépistobus" lundi 9 octobre devant l'Hôtel de Région pour informer et initier les femmes à partir de 25 ans à l'auto-palpation, et leur proposer un rendez-vous pour le dépistage. Une initiative de la Région Sud dans le cadre d'Octobre rose avec le soutien de l'ARS, l'Assurance Maladie, la Ligue contre le cancer, le CRCDC sud Paca, FNTV, CRES.  Ce médecin veut également sensibiliser au sevrage du tabac, à la réduction de la consommation d'alcool, à l'activité physique et à la lutte contre le surpoids. Objectif : 20.000 cancers du sein en moins par an, c'est possible !

Santé

Vous allez intervenir à bord du « Dépistobus » mis en place par la Région Sud le 9 octobre devant le Conseil régional. On parle beaucoup de dépistage du cancer du sein à l’occasion du mois d’octobre, à qui s’adresse cette campagne annuelle ?

Dr Julia Maruani : Octobre rose, c’est déjà une occasion de rappeler aux femmes l’existence du dépistage du cancer du sein et puis surtout son utilité. Cela s’adresse aux femmes qui ont entre 50 et 74 ans et qu’on estime être à risque moyen; ça veut dire sans antécédents familiaux nombreux de cancer du sein, sans mutation génétique et aussi sans symptôme. Une femme qui présente un symptôme ne relève pas du dépistage. Elle relève d’avoir un examen de diagnostic. Et en ce qui concerne les femmes qui ont un risque élevé, elles ont un suivi spécifique.

Age moyen : 64 ans

Le cancer du sein est le plus fréquent des cancers féminins. Il touchera environ une femme sur 10 au cours de sa vie. Pourquoi une telle prévalence ?

Le cancer du sein est le premier cancer de la femme. On estime sur l’année 2023 qu’il y aura un petit peu plus de 60.000 femmes touchées par ce cancer. C’est un chiffre, en termes de pourcentage de femmes touchées, qui reste stable depuis pas mal d’années. Ce cancer survient principalement après la cinquantaine. 80% des femmes qui ont un cancer ont plus de 50 ans, avec un âge moyen à 64 ans. C’est un cancer qui va entraîner malheureusement 12000 décès de patientes. Mais en termes de fréquence, même si c’est le plus fréquent chez la femme, il reste stable alors que le cancer du poumon ou le cancer du pancréas sont deux cancers en augmentation.

Est-ce qu’on peut soigner aisément un cancer du sein lorsqu’il est pris à temps, notamment ?

Oui. D’ailleurs tout l’intérêt du dépistage est de se rendre compte à un stade précoce qu’il existe un cancer du sein. 3 femmes sur 4, tous stades (de gravité, NDLR)  confondus, vont guérir. Et ça va jusqu’à 100% de guérison sur les stades les plus précoces.

« Une minorité de femmes aura une ablation du sein »

Qu’appelle-t-on un stade précoce ?

C’est lié principalement à la taille de la tumeur et à l’invasion. On a des des grades et des critères pour parler de stade précoce.

Il y a une question qui, évidemment, effraie beaucoup beaucoup les femmes : faut-il obligatoirement enlever le sein ? Ou bien une simple ablation de la tumeur suffit-elle ?

La décision de faire une chirurgie qu’on appelle « conservatrice » (ou tumorectomie, ou ablation de la tumeur) ou alors de faire inversement une chirurgie non conservatrice, donc une mastectomie, ça dépend de plein de critères qu’on va avoir au moment du diagnostic. Cela va de la taille de la tumeur, de sa localisation dans le sein, de savoir s’il y a une une seule zone atteinte ou s’il peut y en avoir deux, à la taille du sein. Si on peut rassurer les femmes, le plus souvent ça va être une chirurgie uniquement de la tumeur qui va être faite avec un bon résultat esthétique pour beaucoup de femmes. C’est une minorité de femmes qui va devoir avoir une ablation du sein.

Boule dans le sein : diagnostic en 48h

Quand vous découvrez un cancer du sein chez une patiente, est-ce que la prise en charge est rapide ?

Je travaille à Marseille. On a quand même la chance d’avoir – que ce soit dans les hôpitaux publics ou les hôpitaux privés – des circuits courts avec des numéros spécifiques dédiés à la cancérologie où on va pouvoir appeler un médecin. La prise en charge peut être extrêmement rapide. A partir du moment par exemple où on palpe une boule dans le sein, on a un diagnostic en 48 h, avec un résultat rapide, et après tout s’enchaîne. Donc dans notre ville, la prise en charge est rapide. Je ne suis pas convaincue que ça soit le cas partout. Sinon il faut que les patientes se rapprochent de centres médicaux de taille importante qui peuvent permettre ce genre de diagnostic rapide.

Après la chirurgie, est-ce qu’il faut envisager un traitement complémentaire comme une chimiothérapie ou une radiothérapie ?

Parmi les traitements complémentaires il existe effectivement la chimiothérapie et la radiothérapie. Il  y a aussi l’hormonothérapie dans le cancer du sein et ce qu’on appelle les thérapies ciblée. Là encore le choix va vraiment dépendre – alors pas exactement des mêmes critères que ceux que je vous ai donnés pour l’ablation du sein ou l’ablation locale – mais des critères de grade de la tumeur. On grade après l’analyse d’un morceau de la tumeur. En fonction du stade aussi, du statut de ce qu’on appelle les récepteurs hormonaux. S’il y a des récepteurs hormonaux, on va pouvoir proposer une hormonothérapie. Pareil pour les récepteurs HER 2,  donc là c’est pour les thérapies ciblées. Et puis dans les situations où on va faire la recherche du ganglion sentinelle, le résultat de cette analyse va entraîner plus ou moins par exemple une chimiothérapie.

Taux de survie à 5 ans : 88%

Peut-on dire que, dans la majorité des cas, il y aura un traitement complémentaire à la chirurgie ?

Assez souvent. Au minimum les patientes vont très souvent avoir la tumorectomie et la radiothérapie. C’est peut-être la prise en charge en fréquence qu’on voit le plus. Les stades les plus avancés vont avoir de la chimiothérapie. L’hormonothérapie aussi est très fréquente.

Peut-on se dire « guéri » à la suite des traitements ? Et quel est le taux de récidive ?

On va parler presque en taux de « survie ».  Le taux de survie tous stades confondus pour un cancer du sein à 5 ans, c’est 88%. Ce qui en fait un des cancers qui a le meilleur pronostic. On considère vraiment que 3 femmes sur 4 vont être guéries. Le taux de survie est corrélé au stade et c’est un vrai intérêt de diagnostiquer justement sur les examens de dépistage, à un stade où le cancer n’est pas palpable. Il n’est visible que parce qu’on va passer une mammographie. Alors que quand on est à un stade de cancer palpable, c’est toujours beaucoup plus avancé avec du coup beaucoup plus de risques de récidive et de complications.

« On a encore 35% de femmes à atteindre »

Malheureusement le taux de dépistage organisé reste assez bas, parfois en deçà de 50% malgré les invitations individuelles que les femmes reçoivent à la maison après 50 ans et je crois que ce taux est encore pire dans notre région. Comment expliquez-vous cette réticence ?

Quel que soit le dépistage, il y a toujours des hommes et des femmes qui sont informés mais ne souhaitent pas participer. Il ne faut pas abandonner ! Il faut continuer de donner les arguments de « pourquoi faire un dépistage ». Que ce soit le sein, le col de l’utérus pour les femmes ou le côlon pour les 2 sexes, les diagnostics précoces vont complètement changer déjà la quantité de traitement et la lourdeur des traitements, et bien sûr la survie. Donc c’est pour ça qu’on veut dépister les personnes à un stade précoce.

Après, il ne faut pas se mentir. L’inégalité d’accès aux soins existe. Elle est dépendante du lieu géographique d’habitation, de la densité médicale, et aussi du niveau socio-économique. C’est plus compliqué quand on est isolé en pleine campagne et qu’il faut faire 100 km, qu’on n’a pas le permis de conduire ou qu’on ne conduit pas, pour aller passer un examen. Cela fait partie pour moi des choses contre lesquelles il faut vraiment lutter. Aller au contact des gens, les informer, leur apporter des solutions pratiques pour pouvoir faire leur examen. Par contre vous donnez 50% de chiffre de dépistage, il y a plus de femmes que ça qui se font dépister parce que 50% c’est dans le cas des invitations reçues par le dépistage organisé. Et on estime entre 10 et 15% les femmes qui le font parce que leur médecin généraliste ou leur gynécologue a prescrit une mammographie. Donc les femmes qui se font dépister sont plutôt entre 60 et 65%, c’est un peu comme la participation pour le col de l’utérus. On a encore 35% de femmes à atteindre et à trouver des solutions d’information, d’accès aux soins, pour augmenter cette participation.

« Vous palpez une chose anormale : consultez ! »

Vous serez présente le lundi 9 octobre à bord du « Dépistobus » devant l’Hôtel de Région. L’objectif est notamment d’apprendre aux Marseillaises (de plus de 25 ans) qui passeront ce jour-là à réaliser l’auto palpation. Une boule au sein doit alerter immédiatement une femme ?

Oui. Par exemple, dans mon cabinet, toute femme qui appelle pour dire qu’elle sent une boule dans son sein a un rendez-vous dans les 48 h. Heureusement, beaucoup de boules qui sont palpables ne vont pas être des cancers. On peut avoir des kystes, des fibroadénomes. Mais parce qu’on ne le sait pas à l’avance, il faut examiner les patientes et il faut faire des examens d’imagerie. Un message important c’est : vous palpez quelque chose d’anormal, il faut consulter. Il  faut toujours avoir l’idée que bien sûr, entre deux consultations il peut se passer quelque chose et que la femme est le meilleur juge pour sa propre poitrine. C’est-à-dire qu’elle sait comment est son sein. Il y a des femmes qui ont des seins plus souples, des femmes qui ont des seins plus denses, des femmes qui ont des seins un peu nodulaires, donc si une femme sent une différence dans son sein, il faut absolument avertir.

Le « Dépistobus » pour répondre à toutes les questions

L’objectif – et vous parliez du « Dépistobus » – c’est de faire de l’information, promouvoir les dépistages. Bien sûr on parlera du sein mais on répondra à toutes les questions que peuvent avoir les personnes qui se présentent au bus : le dépistage du sein, du col de l’utérus, du côlon. Essayer de balayer les idées reçues : il y en a qui ont peur que la mammographie fasse mal – c’est quelque chose qu’on nous rapporte souvent. « Je ne veux pas aller passer la mammo parce qu’on écrase le sein, ça me fait mal… »

Et ça ne fait pas mal ?

Alors ça fait rarement mal. Il faut dire que les techniques de radiologie permettent une compression du sein moins importante. Quand un manip radio est bien formé à faire une mammographie, c’est tout à fait acceptable. Et bien sûr, pour les femmes qui le souhaitent, on pourra leur expliquer l’auto palpation, les signes qui doivent alerter.

Les symptômes qui doivent alerter

Quels sont les autres signes, les autres symptômes qui doivent amener à consulter son gynécologue ?

On parlait de palper une boule dans le sein mais ça peut être aussi une boule sous l’aisselle. Une femme qui s’épile ou autre et sent quelque chose d’anormal, il faut nous consulter. Cela peut être sur le sein lui-même un changement de forme, un changement d’aspect au niveau de la peau. Si, par exemple, il y a une rougeur ou ce qu’on appelle une petite rétraction – c’est-à-dire la peau qui fait un petit creux qu’elle ne faisait pas avant, comme un aspect de peau d’orange -, ça c’est pas normal.  C’est qu’il y a quelque chose qui tire dessous. Donc il faut consulter. Il peut y avoir des modifications sur le mamelon. Bien sûr s’il y a un écoulement : tout écoulement du mamelon doit amener à consulter. C’est un peu comme la boule dans le sein. S’il y a des aspects de croûte ou de rétraction – un mamelon qui n’était pas ombiliqué, qui était extériorisé de façon classique (on ne parle pas des femmes qui naissent comme ça mais de quelque chose qui change) – cela doit amener rapidement à une consultation.

Tout changement doit alerter !

Oui. Il faut consulter puisque le diagnostic le plus précoce possible sera le plus profitable pour la patiente en cas de cancer.

Aller au plus près des populations excentrées

Quand on parle de dépistage, on pense mammographie. Est-il facile d’obtenir un rendez-vous ?

C’est un peu comme pour l’accès au dépistage. Cela dépend. Pour beaucoup de villes, c’est acceptable avec peut-être quelques mois de délai. Cet examen doit se pratiquer tous les 2 ans, on peut l’anticiper puisqu’on sait à quelle date on doit le passer. Je ne pense pas que ce soit vraiment la difficulté d’accès à la mammographie qui fait les 35% de femmes qui ne consultent pas. Mais oui, aujourd’hui, même pour une mammographie il y a quelques mois de délai dans certains endroits.

Le « Dépistobus » ira ensuite dans les Bouches-du-Rhône – à Miramas et Arles – puis dans les Alpes-de-Haute-Provence. C’est important d’aller au plus près des populations excentrées ?

Oui, vraiment ! La participation est très différente si on vit en milieu urbain ou en milieu rural. Parce qu’on est moins informé, qu’on a moins de temps pour soi, avec des finances plus difficiles. Tout cela concourt en fait à ce qui est abandonné, c’est le soin, et notamment la prévention. Si en plus on a déjà du mal à consulter quand on va avoir un symptôme, de plus quand on ne sent rien ce qui est l’intérêt du dépistage, il y a vraiment un renoncement aux soins et un abandon du soin. Il faut sans arrêt en reparler, favoriser les initiatives locales. Il y a des villes qui le font, qui mettent des bus itinérants ou autres pour pour aider les gens.

Si on écartait ces 4 facteurs de risque : 20.000 cancers en moins

Quels conseils en matière d’hygiène de vie, d’alimentation, d’activité physique ou autre donnez-vous aux femmes ?

Pour le cancer du sein c’est extrêmement important. On parle toujours du fait que le risque d’avoir un cancer du sein c’est si on prend des hormones, la pilule. Je veux rappeler que la pilule n’augmente absolument pas le risque de cancer du sein. Le traitement hormonal de la ménopause l’augmente très légèrement et donc on le prescrit dans certaines situations. Mais aujourd’hui les facteurs de risque modifiables principaux – parce que bien sûr il y a l’âge, plus on avance en âge plus on a de risque de faire un cancer du sein – sont le tabac, l’alcool. L’alcool est très sous-estimé chez les femmes. D’abord c’est très tabou, les femmes parlent très peu de leur consommation alcoolique et c’est un facteur de risque majeur pour le cancer du sein. Et puis il y a le surpoids et l’inactivité physique. Cela aussi c’est vraiment important, déjà en termes de risque et de récidive aussi.

Une femme qui a eu un cancer, il faut absolument qu’elle arrête de fumer et qu’elle fasse très attention à son poids, son hygiène de vie. Si ces 4 facteurs on les modifie, c’est à dire pas de tabac, très peu d’alcool, un poids santé – on ne vous demande pas d’esthétique, c’est d’avoir juste un poids normal – et bouger, on pourrait en France avoir 20.000 cancers en moins, si on enlevait ces facteurs de risques. On n’en est pas assez conscient, on ne  travaille pas assez dessus. La prévention, ça serait aussi d’aider les gens dans le sevrage tabagique, alcoolique, promouvoir l’activité physique.

C’est-à-dire qu’on pourrait réduire d’un tiers les cancers chaque année en France ?

Exactement. Sur ces facteurs de risque.

Une alimentation saine et protectrice

Est-ce qu’il y a des aliments protecteurs ou des aliments recommandés ?

Il n’y a pas d’aliments précis. C’est une hygiène alimentaire, en fait saine. Donc très peu de produits transformés, limiter vraiment les sucres rapides, les graisses polyinsaturées. En fait c’est manger équilibré, un peu de tout sans exagération, beaucoup de fruits et légumes, ça c’est valable pour tous les cancers. Ce sont des choses assez simples et qui sont nettement oubliées.

Note de la rédaction: pour être tout à fait complet, le cancer du sein peut également toucher les hommes. C’est très rare, cela représente moins de 1% des cas, environ 500 cas par an. Les hommes ne sont pas inclus dans le dépistage organisé mais ils doivent savoir que les symptômes sont sensiblement identiques chez l’homme et chez la femme selon l’Institut National du Cancer.

Le « Dépistobus » à Marseille, c’est le 9 octobre !

Retrouvez le « Dépistobus » lundi 9 octobre à partir de 14h devant l’Hôtel de Région, 27 place Jules-Guesde à Marseille (métro 2 Jules-Guesde ou métro 1 Colbert)

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