Georges Devars, l’homme qui avait toujours un coup d’avance

Dans la froidure de la rive gauche de la Durance, le soleil ne se montre pas avant midi en cette mi-janvier. Mais l’accueil est chaleureux dans la maisonnée au moment d’entamer la discussion autour d’une tasse de café bienvenue. À Saint-Clément-sur-Durance, Georges Devars a laissé s'exprimer sa passion pour la ferme, ses animaux et ses idées novatrices.

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Avec Georges, son épouse Marie et son fils, Sébastien, chef exploitant depuis quelques lustres déjà, à la suite du paternel. Lui-même ayant succédé à son père, son grand-père… La famille est donc présente au hameau de Bon Pommier depuis longtemps. « Du côté paternel, nous étions une famille protestante. Quand de nombreux protestants ont fui la France au XVIIe siècle, après la révocation de l’Édit de Nantes, il ne faisait pas bon donner son nom. Vraisemblablement originaire de Vars, ma famille fut dénommée “de Vars”, devenant ensuite Devars ! » Famille demeurée, elle, dans les parages haut et bas-alpin. La grand-mère était originaire de la haute Ubaye, de Serenne.

À cette époque, nous faisions 100 litres par jour, c’était un exploit !

Avec pareille souche familiale, Georges a l’esprit de son terroir chevillé au corps. Il prendra la suite du père. Adolescent, il l’aide comme tout bon fils de paysan. « Au début des années 1950, l’exploitation comptait 10 vaches laitières, des Tarines, et une cinquantaine de moutons. Un ou deux chevaux pour les travaux de la ferme, raconte-t-il. Mon père, Joseph, et un ami de Saint-Clément ont participé assez tôt au ramassage du lait pour Nestlé, qui avait une succursale à Mont-Dauphin gare. À cette époque, nous faisions 100 litres par jour, c’était un exploit ! »

Nestlé était implantée à Gap depuis quelques décennies, effectuait la collecte de lait sur un vaste territoire pour la fabrication de lait en poudre. De la gare de Mont-Dauphin, un wagon citerne acheminait chaque jour la production du Guillestrois et du Queyras. Dans les années 1970, l’usine gapençaise a fermé et l’antenne de la haute Durance a été remplacée par une coopérative créée avec Jean Escoffier, de Risoul, qui fut président de la chambre d’agriculture. Georges Devars fut un des administrateurs et usagers.

Une machine à traire installée dès 1960

« J’avais quatre frères et j’étais le plus jeune. En 1960, j’accomplissais mon service militaire et je suis parti en Algérie. J’avais déjà entamé ma carrière d’agriculteur auprès de mon père et commencé des travaux d’aménagement, explique-t-il. En janvier 1960, nous avions installé une machine à traire ; elle marchait à merveille et c’est mon père qui l’a expérimentée puisque j’étais soldat. J’attendais de revenir de l’armée pour m’investir totalement à la ferme. »

Notre interlocuteur a donc été un précurseur. Combien de machines à traire étaient installées en haute Durance à l’orée de la décennie 60 ? « J’ai toujours aimé trouver des trucs ; aujourd’hui encore, on fait de même avec le fils, ensemble. » À l’aube de son 83 e printemps, Georges ne quitte pas le tablier. Et ce n’est pas peu dire car en 1997, il diversifie son travail en créant un atelier de charcuterie et, dans la foulée, un autre pour la presse de fruits.

Un petit élevage de porcs est donc présent sur l’exploitation. Quant aux fruits du domaine, s’y ajoutent ceux des familles amenant leur récolte pour la mettre en bouteille. « Pommes, poires, raisins pour l’essentiel », précise Georges. Cette double activité s’effectue dans le cadre d’une SARL.

Un véritable goût pour l’innovation

Dès 1952-53, son père avait opté pour l’élevage de bovins, délaissant les brebis. « En 1954, on a acheté le tracteur Massey-Harris, un Pony à essence de 16 chevaux. Une charrue à deux socs, pas hydraulique bien sûr, une barre de coupe et une remorque. Le tout pour 816 000 anciens francs !, se souvient-il. Pour cet achat, on a vendu un noyer pour la somme de 700 000 francs ; le reste, on l’a emprunté à la banque. Aujourd’hui, allez donc vendre un noyer pour acheter un tracteur ! »

Le ton est jovial. Doté d’un matériel moderne bien avant beaucoup d’agriculteurs, Joseph Devars, épaulé par son fils, agrandit le domaine par l’acquisition de nouvelles terres. « On a acheté 13 hectares disséminés, une maison et un bâtiment agricole quand je suis revenu d’Algérie. On ne l’avait pas fait avant car je n’étais pas sûr de revenir ; il y en a quand même 30 000 qui ne sont pas revenus de cette guerre ! », déplore-t-il. Il a bien été sollicité par les gendarmes de Guillestre à son retour de l’armée pour endosser l’uniforme. « Mais j’avais la passion pour les animaux et la ferme. J’ai décliné l’offre. »

Aujourd’hui, allez donc vendre un noyer pour acheter un tracteur !

Georges a épousé Marie, du village voisin de Saint-André-d’Embrun, elle l’assiste évidemment dans son travail. Le système de traite sera remplacé par un nouveau, plus moderne. Georges est devenu chef d’exploitation et exploite aussi son goût pour l’innovation. « Avec quelques collègues, nous créons une Cuma en 1975-76 ; il y avait une bonne ambiance entre gens qui voulaient coopérer », précise-t-il.

Une poignée d’ans plus tard, il est un des initiateurs du remembrement et de la création d’une micro-centrale électrique. Il est conseiller municipal, ce qui lui permet de favoriser de tels projets. Responsable également de l’ASA des Traverses, impliqué dans l’arrosage par aspersion. Autant d’avancées qui ont amélioré les pratiques agricoles. Le remembrement ne fut pas chose aisée. « Les anciens étaient récalcitrants, mais on y est arrivé dans des conditions acceptables », précise-t-il.

À l’emplacement de l’ancienne société Nestlé, sous la place forte de Mont-Dauphin, a été créée il y a quelques années à peine, une fromagerie. Et c’est alors que l’on peut apprécier la mise en place de l’aspersion. « Cela a permis d’amener l’eau à des parcelles qui n’en avaient pas et, donc, d’augmenter la capacité de fourrage, seule nourriture pour les vaches laitières. Indispensable car le lait étant acheminé à la fromagerie, le maïs n’est pas un complément bienvenu », dit-il.

Foin et farine, issue du blé familial produit à la ferme sont ainsi donnés chaque jour aux 20 laitières et autant de génisses de race Montbéliarde. Le remembrement et l’aspersion ont été essentiels pour le maintien de l’agriculture en rive gauche de la Durance sur la commune.

Aujourd’hui, Georges Devars n’a peut-être plus le cœur du jeune paysan entreprenant qu’il a été, mais cela ne l’empêche pas d’être encore un pilier sur le domaine familial au côté de Sébastien, son fils.

Maurice Fortoul

L’Espace Alpin est le journal agricole et rural des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Ce journal bimensuel est disponible sur abonnement sur lespace-alpin.

 

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