On ouvrira ces « Histoires de seins » peut-être par « curiosité », ou voyeurisme sans oser se l’avouer. En se disant que l’on va voir à quoi ça ressemble, un cancer du sein en cours ou en fin de traitement. Mais je vous préviens : c’est un coup de poing que vous allez recevoir. Non pas que les photos soient trash ou provocantes. Non. Elles sont seulement vraies, sans fard, et donc parfois dures à recevoir. Donnant à voir le cancer dans ses stigmates sur les corps meurtris et au fond du regard clair et lumineux de ces 14 femmes et un homme. Car oui, chaque année, à leur grande stupéfaction, quelque 500 hommes se voient détecter un cancer du sein. Pour les 55 000 femmes touchées dans le même temps, c’est sans doute moins surprenant mais tout aussi violent.
« Accepter son corps tel qu’il est devenu »
Hugues Charrier, l’auteur de l’ouvrage, raconte : « Se faire prendre en photo, ce n’est pas anodin. C’est au final s’autoriser à regarder en face son image, après le passage du cancer et des traitements induits. C’est marcher vers l’acceptation de son corps tel qu’il est devenu. » Et ce corps n’est pas moins bien. Il est différent. Il est désormais autre, nouveau, fort de ses cicatrices qui témoignent du combat mené et souvent remporté contre la maladie potentiellement mortelle.
Le photographe fait ainsi un pied-de-nez à la beauté conventionnelle des magazines, des réseaux sociaux et des cliniques de chirurgie esthétique qui façonnent un galbe parfait pour des seins gonflés devenant la référence iconographique d’une société du paraître et du bonheur imposé, le tout moyennant 6000 euros. Charrier est un militant de la beauté réelle. Sous son objectif, chacune/chacun est si belle/beau avec ses mutilations. La vraie vie.
« Ma cicatrice n’est pas une mutilation mais un sauvetage »
Ces femmes et cet homme n’avaient pourtant pas imaginé s’exposer avant qu’Hugues Charrier ne frappe à leur porte. La thérapie pour retrouver l’estime de soi emprunte parfois des chemins de traverse. La photo en est un très efficace sous l’objectif de cet artiste iconoclaste, devenu photographe à plein temps sur le tard après une carrière dans l’univers du BTP. La vie regorge de surprises incroyablement fertiles…
Donc voici Mélanie, Marie, Elise, Whitney, Franck, Corinne, Christelle, Isabelle, Tina, Caroline, Mercedes, Sylvie, Caroline encore, Vanessa et Laure. Il et elles ont entre 28 et 80 ans. Se montrent comme il/elles en ont envie, dans leur environnement, en clair-obscur ou en pleine lumière, avec leur chéri(e). Et se confient. Marie, 29 ans, s’affiche avec sa balafre et ses marquages pour cibler les rayons : « Ma cicatrice n’est pas une mutilation, mais un sauvetage. »
Caroline, 41 ans : « La maladie provoque un sentiment de solitude immense, même si je suis entourée des meilleurs. Et elle implique une désorganisation totale du schéma corporel, comment rester une femme, la femme que j’étais avant ? Le cancer n’a fait que dégoupiller la grenade. Alors cela peut paraître étonnant, mais l’exprimer m’apaise déjà un peu… » Et se faire photographier « a pour but d’apprivoiser ce nouveau corps ».
La photo leur a permis de retrouver l’estime de soi
Whitney a découvert son cancer le 10 février 2021, à 29 ans. A subi depuis trois opérations, deux reconstructions puis une mastectomie (ablation) totale du sein car elle ne cicatrisait pas. S’enchaînent et vont se poursuivre durant cinq ans les cures de chimiothérapie, la radiothérapie et l’hormonothérapie. « Cette prise de vue sous l’oeil attentif d’Hugues m’a permis de voir ma mastectomie sous un autre jour. En plus de pouvoir découvrir ce corps meurtri devant l’objectif du photographe, puis pouvoir accepter de le regarder enfin, a été une véritable étape charnière pour retrouver le chemin de l’estime de soi. »
Il y a une pulsion de vie fulgurante qui jaillit de ces 140 pages. Comme si dévoiler la maladie et montrer le combat contribuait à se propulser loin vers l’extérieur et l’avenir. Un sentiment conforté par une initiative originale du photographe : il a interrogé les conjoint(e)s des opéré(e)s et les a photographié(e)s ensemble. Les témoignages de ces amoureux devenus aidants par la force des choses sont tout aussi splendides. Le cancer embarque tout le monde dans son sillage et le combat est plus que jamais une affaire de famille.
Il est des coups de poing salutaires
Hugues Charrier m’a fait un grand honneur en me demandant de préfacer son ouvrage. J’espère avoir été à la hauteur de son talent courageux et de la confiance que lui ont accordée ces femmes et cet homme. Ils sont magnifiques à en pleurer.
Ce livre est un coup de poing dans la figure. De ces coups de poing qui remettent les idées en place : la beauté est dans nos vies de combattant(e)s et dans le partage qu’elles suscitent. Pas dans les filtres parfaits des réseaux sociaux qui ripolinent tant de lèvres pulpeuses, de poitrines pigeonnantes, de mensonges et de tentatives misérables d’exister. Le combat contre le cancer n’est pas instagrammable. Il est notamment dans ces « Histoires de seins » qui composent un beau livre à partir duquel réfléchir. Et c’est tant mieux.
Exposition à la Cité radieuse Le Corbusier, 3e étage, 280 boulevard Michelet, 13008 Marseille, du 14 au 16 octobre 2022. Vernissage le 14 à partir de 18h30.
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