Les rayons, une arme redoutable contre les cancers

Xavier Muracciole est oncologue radiothérapeute à la Timone (Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille). Il traite surtout les cancers de prostate grâce à des machines de radiothérapie ultra-performantes au CHU Timone et au CHU Nord. Il détaille également le recours à l'hormonothérapie qui peut venir en complément de la chirurgie ou des rayons. Sans rien cacher des effets secondaires importants.

Santé

Quels sont les principes de la radiothérapie ?

Docteur Xavier Muracciole : Il faut la concevoir comme un outil thérapeutique prenant en charge les cancers. Cela utilise les rayonnements. Ce sont les mêmes rayonnements qu’on utilise pour la radiologie, pour le diagnostic. Là, on va utiliser directement des rayons qui sont un peu plus puissants mais surtout très ciblés sur la tumeur et ses extensions au niveau thérapeutique

Peut-on irradier tous les cancers ?

Potentiellement, oui, on peut irradier tous les cancers. Est-ce que tous les cancers sont du ressort de ce traitement ? Non, bien évidemment. On va s’inscrire avant tout avec cette modalité thérapeutique dans le contrôle de la maladie et de ses premières extensions ganglionnaires.

1 dose de rayons par jour, pendant 35 jours

Concrètement, comment ça se passe quand on est pris en charge en radiothérapie ? On est mis dans un appareil pendant quelques minutes ?

Tout à fait ! Si on regarde la démarche initiale, on présente au patient en consultation l’objectif qu’on a de contrôler sa tumeur qui a été opérée avant, ou qui est inopérable. A ce moment-là on va concentrer la dose d’irradiation sur le volume tumoral et ses extensions ganglionnaires et on va définir un protocole. Un protocole classique en radiothérapie, c’est une dose totale à délivrer avec une dose par fraction. Classiquement on délivre sur 7 semaines une séance par jour, 5 jours par semaine, avec 35 séances; ça fait 7 semaines de traitement pour une dose totale dans notre jargon de 70 Grays.

Le patient vient et repart après la séance ?

Le patient vient, on lui explique ces modalités de traitement, les objectifs qu’on a pour contrôler sa maladie et également le corollaire qu’on a tous en médecine et encore plus en radiothérapie, ce sont les risques d’avoir des séquelles après, liées à ce traitement. Donc on se doit de présenter et les résultats attendus, et les risques de séquelles qu’on va minimiser en mettant en place pour ce patient toutes nos modalités qui vont permettre de réduire considérablement ces risques et qu’on est obligé d’exposer à la première consultation.

Réduire les douleurs dues aux métastases

La radiothérapie est faite pour soigner, est-ce qu’elle soulage également les douleurs ?

C’est l’autre versant de la prise en charge du cancer chez nos patients. On se doit de leur donner toutes les chances d’être contrôlés sur la maladie. Mais aussi, quand malheureusement il y a une évolution qui va induire un problème aigu de douleur, de compression, on se doit aussi de pouvoir répondre. Et là aussi la radiothérapie a largement sa place pour soulager dans un premier temps, puis contrôler le plus longtemps possible ces métastases.

La radiothérapie peut-elle être associée à d’autres soins, comme la chimiothérapie et l’hormonothérapie par exemple ?

Tout à fait ! Il faut concevoir cet outil thérapeutique comme faisant partie d’une stratégie. A l’heure actuelle, la chirurgie reste le premier acte thérapeutique important. Quand on peut le faire, on se doit de le faire. Mais ensuite on peut combiner différents outils thérapeutiques. Outre la chirurgie, il y a bien évidemment les autres médicaments comme la chimiothérapie, l’hormonothérapie, et c’est la combinaison de ces différents outils qui permet d’offrir aux patients toutes les chances de contrôler la maladie à long terme.

Les rayons pour contrôler « définitivement » le cancer de prostate

Prenons l’exemple du cancer masculin qui est le plus fréquent, que vous connaissez très bien, qui est le cancer de la prostate. Quand propose-t-on la radiothérapie, et est-elle aussi efficace que la chirurgie ?

La radiothérapie a bien évidemment sa place pour prendre en charge le cancer de la prostate. C’est un outil thérapeutique qui peut contrôler définitivement ce cancer et il s’inscrit aussi dans une stratégie. Globalement, c’est équivalent à la chirurgie, à tous les stades de la maladie. Simplement, ce qu’il va falloir associer, ce sont tous les outils qu’on a à notre disposition, entre autres chirurgie, radiothérapie et hormonothérapie, et là j’avoue que l’irradiation a vraiment sa place en première intention.

Ces deux thérapies peuvent-elles être associées ? Est-ce le cas fréquemment ?

Peut-être pas fréquemment, mais c’est classique de proposer une chirurgie pour les personnes qui sont jeunes par exemple, dont on a besoin d’avoir tous les éléments de pronostic pour affiner le traitement, à ce moment-là on les opère. Et si au niveau du contrôle anatomopathologique on s’aperçoit qu’il y a un risque de rechute locale, à ce moment-là on se doit de pouvoir proposer cette irradiation soit immédiatement, soit en différé, en suivant le patient très régulièrement et de manière assez serrée. De la même façon, on sera peut-être amené à proposer un traitement hormonal d’une durée qui va dépendre du risque de la maladie.

L’incontinence et l’impuissance sont moins fréquentes que la rectite

N’y a-t-il pas des effets secondaires importants provoqués par la radiothérapie ? Vous en avez dit un mot en ce qui concerne le cancer de la prostate. On pense à l’impuissance et l’incontinence urinaire…

Il y a deux types de toxicités. Il y a la toxicité aiguë liée aux rayons pendant le traitement et dans les 3 mois qui vont suivre ce traitement. Aujourd’hui on a des médicaments qui vont permettre de bien soulager les patients, mais aussi techniquement. On a fait énormément de progrès pour réduire à la fois l’intensité et la fréquence de ces événements de toxicité. Par contre, à distance, ce qu’on appelle les séquelles, c’est après 6 mois. Effectivement, comme tout outil thérapeutique très efficace, ça a son corollaire de risque de séquelles. Principalement pour la radiothérapie, c’est plus une inflammation chronique du rectum, qu’on appelle la rectite, plutôt que l’incontinence qui est très peu fréquente et l’impuissance qui est également beaucoup moins fréquente.

Cyber knife et Versa, deux machines exceptionnelles

Quelles sont les innovations technologiques et en quoi sont-elles bénéfiques aux patients ? Je crois que vous avez un super appareil à la Timone désormais…

Plus qu’à la Timone, on a deux pôles à l’APHM, à la fois le CHU Timone et le CHU Nord. On a un plateau technique qui est extrêmement complet, qui nous permet de proposer à nos patients selon la maladie qu’ils présentent et le risque évolutif, soit un traitement très court avec une machine qui s’appelle le Cyber knife à l’Hôpital Nord, qui donne 5 séances au total, et jusqu’à 40 séances quand la maladie est beaucoup plus étendue, beaucoup plus à risque. Auquel cas on le fait sur une autre machine à la Timone qui s’appelle le Versa. C’est un accélérateur. Toutes ces machines sont équipées pour permettre de bien cibler la maladie, au mieux, et de pouvoir préserver également à l’inverse les tissus sains.

Vous avez parlé du Cyber knife, c’est quoi ?

C’est une radiothérapie qui est robotisée. Il faut savoir que l’accélérateur est mis sur un bras robotisé qui a été utilisé dans l’industrie automobile avec Renault; ça nous permet comme ça d’irradier la lésion, la maladie, de manière très, très ciblée et surtout de suivre le mouvement de la prostate par exemple en direct. Et ça permet de réduire les doses délivrées aux organes environnants et de concentrer la dose sur la cible.

Et ça, c’est vraiment un équipement novateur et très performant ?

C’est un équipement qui est très performant. Il n’est pas nouveau en soi parce que depuis 15 ans certains établissements en disposent. Mais comme toute machine, elle évolue avec le temps et, nous, on a pu disposer il y a 2-3 ans de la dernière version optimisée. C’est vraiment quelque chose qui est extrêmement puissant, extrêmement technologique aussi.

L’hormonothérapie, une autre arme percutante

Nous allons parler d’une autre prise en charge du cancer, c’est l’hormonothérapie. Qu’est-ce que c’est, comment fonctionne-t-elle ?

L’hormonothérapie est le 3e élément majeur dans la stratégie thérapeutique. Pour le cancer de la prostate, l’hormonothérapie a sa place pour une une raison principale : le cancer de la prostate se développe par le biais d’un récepteur aux androgènes, donc un récepteur sensible à la testostérone, et c’est le moteur à la fois du processus de cancérologie, c’est un moteur pour la sensibilité au traitement mais aussi c’est le moteur de la résistance au traitement. Et donc ce traitement hormonal est ciblé sur ce récepteur qui est porté par les cellules prostatiques cancéreuses. C’est là-dessus qu’on va jouer. On va essayer de bloquer ce récepteur qui envoie un signal de prolifération à la tumeur.

Ce récepteur, c’est la testostérone ?

Le récepteur, c’est aux androgènes, donc c’est la testostérone qui est sécrétée par les testicules chez l’homme, qui va être métabolisée dans la cellule prostatique cancéreuse en androgènes et qui va se fixer pour donner un système de prolifération. L’outil thérapeutique va bloquer la synthèse de la testostérone. On a aussi un autre outil qui est des anti récepteurs aux androgènes, des anti androgènes non-stéroïdiens, et donc on va pouvoir faire un blocage à deux niveaux. Ce sont ces outils là qui nous permettent de contrôler au mieux ces cancers de la prostate.

Perte de libido, des érections, de la forme…

Quand prescrivez-vous l’hormonothérapie ? Il y a le cancer de la prostate, il y a éventuellement le cancer du sein également ?

Bien sûr. L’hormonothérapie a sa place en première intention dans les cancers de la prostate qui sont de haut risque d’évolution. Soit haut risque métastatique – auquel cas la durée dépassera les 15 ou les 18 mois selon le niveau. Soit de risque d’évolution locale – auquel cas la durée sera de 6 mois. On combinera au mieux à la fois la radiothérapie et l’hormonothérapie en fonction de ces deux niveaux de risque pour proposer un traitement de 6 mois ou de 15 mois ou 18 mois. En sachant que l’hormonothérapie, quand on bloque la testostérone, a bien évidemment des effets secondaires qu’il faut pouvoir gérer ensuite avec le patient.

Quels effets secondaires ?

Principalement, il faut savoir que la testostéronémie chez l’homme, c’est l’hormone de la forme. Ce n’est pas pour rien que des sportifs de haut niveau se dopent à la testostérone pour avoir à la fois la forme et les muscles. Eh bien nous, avec ce traitement, on va être obligé d’induire l’effet inverse. C’est-à-dire qu’on va entraîner un blocage pendant 6 mois, un an, parfois ça peut durer 2 ans ou 3 ans. Et là on pourrait avoir des effets sur l’état général, la forme, la perte de la libido, des érections, des bouffées de chaleur, des points d’arthrose qui deviennent douloureux. On a tous ces effets secondaires à prendre en charge pour que le patient puisse traverser ce traitement le mieux possible au niveau de son confort.

Le patient a parfois le choix du traitement et des effets secondaires qu’il est prêt à accepter

Le patient a-t-il son mot à dire en matière de traitement  ? Est-ce qu’il peut « choisir » une thérapie plutôt qu’une autre ?

Tout à fait et là c’est une responsabilité qu’on a lors de la première consultation : proposer à notre patient les stratégies possibles dans sa situation. Ensuite, à lui de voir qu’est-ce qu’il va privilégier par rapport à la chirurgie par exemple ou à la radiothérapie, ou par rapport à l’hormonothérapie. S’il va accepter les risques d’effets secondaires. C’est là-dessus que se porte la discussion, si tant est qu’on a les mêmes résultats dans les deux possibilités. Et là, vraiment, c’est une discussion qu’on doit avoir dans la relation singulière avec notre patient pour essayer de mieux cibler ce qu’il est capable d’assumer après comme traitement

cet article vous a plu ?

Donnez nous votre avis

Average rating / 5. Vote count:

No votes so far! Be the first to rate this post.

Partagez vos commentaires.