[Enquête 2/3] MIF68 : La face cachée des ambitions 

Economie

Devenir la place forte méditerranéenne du commerce de gros franco-chinois, c’est l’ambition visible du MIF68, projet par des commerçants chinois dans les quartiers Nord de Marseille avec le groupe marseillais Resiliance. Au-delà, une réponse concrète à l’opportunité offerte par les nouvelles routes de la soie. Ou comment arrimer Marseille sur les écrans radars de la Chine…
 
Il n’y a que les inaugurations pour offrir un ballet baroque de personnalités qui sans doute et sans cela, ne se croiseraient sans doute pas.
Ce 19 février, quatrième jour du nouvel an chinois sous le signe du Chien de terre (symbolisant, selon l’horoscope chinois, la fidélité, la loyauté et la générosité), l’ouverture officielle du MIF68 – une plateforme de commerce de gros, portée par des commerçants chinois dans une zone franche des quartiers Nord de Marseille  – en offrit une illustration.

On pouvait y croiser des commerçants curieux de fouler en avant-première un nouvel objet encore non identifié sur ces terres mais aussi des personnalités de notoriété « extraterritoriale », qui informent sur les réseaux de Xavier Giocanti. L’homme d’affaires qui, avec son associé Gurvan Lemée au sein du groupe Résiliance, a murmuré à l’oreille de Jean-Claude Gaudin que l’implantation d’un tel projet dans la ZAC Saint-André de sa ville pouvait tout à la fois valoriser un foncier de plusieurs hectares, créer des centaines d’emplois mais aussi constituer une formidable vitrine pour arrimer Marseille sur les écrans radars de la Chine, à l’heure où la future première puissance mondiale réédite les antiques routes de la Soie pour s’assurer des voix d’accès à une centaine de pays dans le monde (cf. Les routes de la Soie, s’en saisir ou pas ?).
 
Renaud Donnedieu de Vabres, Christine Lagarde, Virginie Calmels et les autres…
Jean-Claude Gaudin, maire LR de la ville de Marseille et président de la Métropole Aix-Marseille Provence, Martine Vassal, présidente LR du Département des Bouches-du-Rhône, Renaud Muselier, président LR de Région (dont la famille est associée à celle de Giocanti dans la Clinique Saint-Martin), Jun Zhai, ambassadeur de la République populaire de Chine en France, David Costes représentant le préfet de région, ont enchâssé les discours à la tribune.
 
Christine Lagarde, à la tête de l’une des trois grandes institutions financières mondiales, le FMI, aux côtés de Saïd Ahamada, député LREM de la 7e circonscription des Bouches-du-Rhône.
 
Mais dans l’assistance se jouait une autre scène, où l’on pouvait entrevoir notamment Renaud Donnedieu de Vabres (plusieurs fois ministre dans les gouvernements Raffarin et Villepin), Christine Lagarde (patronne du Fonds monétaire international et compagne de Xavier Giocanti avec laquelle il aimerait former « un couple ordinaire », se plait-il à dire), Virginie Camels (effet match OM – Girondins au stade Vélodrome la veille ?), ancienne dirigeante des groupes de médias Canal+ et Endemol, actuelle première adjointe au maire de Bordeaux Alain Juppé, accompagnée de son époux, Jérôme Chartier, ancien député du Val-d’Oise et actuel premier vice-président du conseil régional d’Île-de-France. Mais aussi Éric Revel, un des hauts-cadres dirigeants de Radio France.

Xavier Giocanti, Gurvan Lemée, les deux associés investisseurs, Dingguo Chen, président du MIF68. A ses côtés, ses deux filles.

Au-delà (la présence de VIP n’est pas forcément un indicateur de l’intensité du moment), il y a l’intérêt économique, commercial (et politique) du projet auquel a immédiatement adhéré Dingguo Chen, commerçant chinois de profession et président du MIF 68, installé jusqu’alors, rue du Tapis-Vert, dans le fief historique du commerce de gros marseillais, au coeur du quartier de Belsunce (1er arr.).
« Cela fait plus de 30 ans que je suis en France. J’ai découvert Marseille par un séjour de vacances avec ma famille à l’été 2000. Je me suis dit immédiatement dit qu’il y a une histoire à écrire ici », dit-il, ayant emmené dans sa nouvelle « séquence » entrepreneuriale, Yinde Zheng, vice-président Association des commerçants chinois de Marseille, Xuguang Zhuo, président de l’Association des commerçants chinois de France et Guo Zhi Min, président de l’Association des commerçants franco-chinois à Paris.
Pas de subvention publique
Connu donc sous le nom de MIF68 – non par référence soixante-huitarde mais parce que le huit est un chiffre porte-chance en Chine – le Marseille International Fashion Center 68 – comprend à ce jour 95 cellules commerciales de 172 m2 sur deux niveaux, proposées en bail de 12 ans, renouvelable tous les 9 ans, exclusivement dédiées à des importateurs-grossistes et représentants d’usine, notamment chinois, mais pas que… La finalité étant d’en faire une véritable plate-forme d’import-export entre entre la France et la Chine pour toute l’Europe du Sud et l’Afrique du Nord.
« C’est un projet 100 % privé et agencé sur des terrains en friche depuis 20 ans. C’est dire que le premier euro de recette fiscale sera immédiatement un bénéfice pour la collectivité ». Revendiquant ses origines marseillaises et son attachement à ces quartiers (il fut à l’initiative de la création de l’association des entrepreneurs Cap au Nord Entreprendre et d’un rapport sur les zones franches), Xavier Giocanti l’a rappelé avec humour à l’occasion de l’ouverture.
Pour aménager ce terrain de 26 ha que le groupe possède en contrebas du centre commercial Grand Littoral dans le 15e arrondissement, la société qui réalise des projets immobiliers à dominante tertiaire notamment dans les quartiers Nord (8 600 m² de bureaux et de locaux d’activités dans ses actifs), aura investi 17 M€ H.T.
 
Coup de force paysager

Quelque 600 conteneurs maritimes que l’architecture marseillais Mathieu Cherel a aménagés en boutiques

Sur un plan technique, le coup de force majeure réside dans le « concept paysager », dicté par la nature du terrain qui n’autorisait pas toutes les constructions : les maîtres d’œuvre (Apaque architecture et Unit Building) ont ainsi assemblé, sur une superficie de 17 000 m2, quelque 600 conteneurs maritimes (préalablement modifiés dans les usines du fabricant mondial de conteneurs, le géant public chinois Cosco), que l’architecture marseillais Mathieu Cherel a aménagés en boutiques. Pour ce chantier, livré en un an, le groupe a travaillé principalement avec des entreprises locales**, insiste Gurvan Lemée, soulignant que 85 % des 95 emplacements ayant déjà trouvé preneurs, soit « à raison de 2 à 3 personnes par boutique, on aura 300 personnes sur le site une fois toutes les installations faites ».
 
Afrique du Nord, zone de chalandise naturelle
« En centre-ville, nous avons des problèmes d’accessibilité et de mobilité, ce qui ne facilite pas la venue d’acheteurs étrangers, explique Dingguo Chen. Les clients préfèrent généralement partir pour Aubervilliers, plus facilement accessible depuis les aéroports parisiens », explique le président des commerçants chinois de Marseille.
Pour Gurvan Lemée, « l’aéroport, qui dessert de nombreuses villes d’Afrique du Nord et de l’Europe du Sud via son terminal low-cost mp2, et le port, qui offre une porte d’entrée sur le Maghreb et est proche de la Chine par son terminal à conteneurs de Fos, sont clairement des atouts ». Le très couru Dragon Mart de Dubaï, un des plus gros centres structurés de commerces grossistes, « marche » en effet avec son aéroport, la compagnie Emirates qui en a fait son hub dessert en 4 heures d’avion un tiers de la population mondiale
« La clientèle de l’Afrique du Nord est déjà une réalité pour les commerçants marseillais », reprend Dingguo Chen qui gage sur la proximité de l’aéroport pour créer un appel d’air.
Dans le Top 10 des villes internationales desservies par le ciel à partir de Marseille, figurent en effet Alger, Lisbonne, Rome, Tunis, Madrid et Istanbul.
Quant au port (Jean-Marc Forneri et Christine Cabau-Woehrel, respectivement président du conseil de surveillance et du directoire, étaient également présents), le MIF68 offre une nouvelle opportunité de capter de nouveaux trafics de produits fabriqués en Asie et importés en France, qui profitent encore trop aux ports du Havre et d’Anvers.
« Ce site va offrir aux opérateurs des conditions d’exploitation beaucoup plus favorables, sans les difficultés de stationnement, de circulation et de stockage, et offrir une bouffée d’oxygène aux détaillants qui n’auront plus à monter à Paris pour faire leur course mais qui auront à un quart d’heure la possibilité d’approvisionner en flux tendu », ajoute Xavier Giocanti.
 

Jun Zhai, ambassadeur de la République populaire de Chine en France.

Disputer à Aubervilliers le statut de porte d’entrée du vêtement chinois en Europe ?
Les porteurs du projet s’en défendent. Le MIF 68 ne se « positionne pas du tout en concurrence » avec le Cifa (Centre international France-Asie) d’Aubervilliers, à ce jour plus grand centre international de commerce de gros en Europe devant Düsseldorf (Allemagne).
Mais il est néanmoins question qu’« avec des loyers deux fois moins cher qu’en banlieue parisienne » (non communiqués) d’être « le plus grand marché de grossistes du sud de l’Europe ».
Selon les dernières données délivrées par la SAS MDR, qui possède les murs du Cifa (dont l’actionnaire majoritaire est la société d’investissement Eurazeo), le taux d’occupation serait de 96 % et le montant global des loyers s’élèverait à 15 M€. Soit des loyers entre 10 et 12 000 euros le m2.
« Je connais bien l’expérience d’Aubervilliers, indique en aparté l’avocat Henry Sun, la spéculation immobilière a tué les rues de ce triangle d’or asiatique. L’externalisation des centres de gros sont des évolutions naturelles du marché. Mais il faut se garder de reproduire l’expérience d’Aubervilliers. On crée cette centralité uniquement pour répondre aux besoins des grossistes marseillais ».
 
Devenir de Belsunce, fief historique du commerce de gros chinois ?
« On travaille à sa requalification », désamorçait Didier Parakian à l’occasion du forum économique franco-chinois fin octobre à Marseille. « Plusieurs pistes sont sur la table. On sait que les start-up cherchent à s’implanter prioritairement en centre-ville ». Et l’élu en charge de l’économie à la ville de Marseille de rappeler non incidemment que le Sentier est devenu le Silicon Sentier, repaire de start-up.
Révélée par le site d’infos Marsactu, l’idée de faire émerger « un Chinatown », portée par la maire du 1er-7e, Sabine Bernasconi (LR).
« On étudie avec le Consul général de chine à Marseille et l’association de commerçants chinois les moyens de diversifier l’activité vers de nouveaux types de commerces susceptibles de donner un nouvel élan à ce quartier », a déclaré sobrement dans son discours Jean-Claude Gaudin.
Benoît Payan, chef de file de l’opposition (PS) au conseil municipal, a fait part publiquement de ses doutes quant aux possibles reconversion d’un quartier dans un centre-ville qui souffre de ses rideaux baissés, et qui subirait selon Procos, plus qu’aucune autre grande ville, un taux de désaffection***.
 
Du commerce d’abord
« Le MIF68 c’est du commerce d’abord, mais le commerce amènera bien d’autres choses positives », est convaincu Xavier Giocanti, qui endosse volontiers le rôle d’ambassadeur de Marseille, où il est né, a grandi et fait ses études de droit pour y revenir plus tard afin d’y entreprendre :
« Il y a une dynamique positive actuellement autour de notre ville. Sa situation géographique est l’une de ses forces. Mais elle est également réputée au-delà de la Méditerranée. Le tourisme, qu’il provienne des États-Unis ou d’Asie, est en forte croissance. Les grandes opérations d’urbanisme et les manifestations internationales ont bien évidemment contribué à cette évolution. Á moyen et long terme, ces événements ont toujours des répercussions sur une ville. De nouveaux investisseurs arrivent. Cela permet l’ouverture de la ville à l’international. C’est notamment le cas du marché asiatique et en particulier du marché chinois », plaide-t-il sur son blog.
 
— Adeline Descamps —

* Également dans l’assistance : Samia Ghali, sénatrice PS et maire du secteur concerné par l’implantation ou encore Saïd Ahamada, député LREM de la 7e circonscription des Bouches-du-Rhône, et une grande partie de l’équipe municipale : Sabine Bernasconi, Didier Parakian, Didier Réault, Laure-Agnès Caradec, Solange Biaggi, Lionel Royer-Perrault…
** SGETAS (terrassements, voirie, réseaux divers), AMS Atelier Midi sondage (assemblage des conteneurs, métallerie), Sogepelec (distribution électrique), Spie (alimentation électrique), Coureau (espaces verts), SRV (automatisme), Omnium dallage (dallage béton), Enrobés Paca (enrobés), HMI (finition, serrurerie).
***Le taux de vacance commerciale, qui dépassait les 9,5 % en 2015 dans plus de la moitié des 200 villes observées par Procos, la fédération représentative du commerce spécialisé, était de 11,7 % en 2017. Les métropoles sont moins concernées mais pas à l’abri. Le taux de vacance commerciale de Marseille était supérieur à 15 % en 2015.
 

Cet article fait partie d’une enquête en trois volets
[Enquête 1/3] Le grand pari chinois de Marseille 
[Enquête 2/3] MIF68 : La face cachée des ambitions 
[Enquête 3/3] Les routes de la Soie, s’en saisir ou pas ?

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Ils ont dit à l’occasion de l’ouverture officielle du MIF68
 

Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille et président de la Métropole Aix-Marseille Provence


« Xavier Giocanti et Gurvan Lemée ont réussi, avec l’aide du consulat de Chine à Marseille et l’association des commerçants chinois, quelque chose d’inédit dans les quartiers Nord, porteur d’emplois. C’est à travers de ce type de projets que la métropole confortera son rôle de locomotive économique et de développement du territoire. Cet investissement va positionner Marseille comme un lieu stratégique du marché textile chinois ».
 
Martine Vassal, présidente du Département des Bouches-du-Rhône

Martine Vassal a profité de son temps de parole pour réarmer l’idée d’une zone franche en centre-ville, souhaitant « la porter auprès du gouvernement avec l’ensemble des représentants des institutions », voyant dans son entrevue programmée avec Agnès Buzyn (Ministère des Solidarités et de la Santé), ce 20 février, au sujet de la situation de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), l’occasion de la relayer.
 
Renaud Muselier, président de la région PACA

« C’est un projet emblématique pour les quartiers nord, le port de Marseille et l’ensemble du territoire. Le MIF68 doit devenir la première plateforme d’import/export entre la France et la Chine pour toute l’Europe du sud et l’Afrique du Nord. Il doit être une étape importante des routes de la soie et l’on s’inscrit dans cette ambition ».
 
Jun Zhai, ambassadeur de la République populaire de Chine en France
 « Forte de sa position géographique, de ses infrastructures, du tourisme, de la force agroalimentaire, de la qualité de l’enseignement supérieur, Marseille et sa région ont un potentiel considérable dans leur coopération avec la Chine ».
 
 
 
 

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