Sècheresse été 2022 : aestas horribilis ?

Les conditions climatiques et hydrologiques de cette saison ont malheureusement dépassé les craintes exprimées, dont celles des spécialistes les plus alarmistes. L’agriculture des deux départements alpins souffre face à ces niveaux de sècheresse jamais atteints.

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Depuis les faibles précipitations hivernales et printanières, la situation a continué à se dégrader. Cette sécheresse historique sera marquée par son intensité exceptionnelle accentuée par des températures chaudes y compris jusque sur les plus hauts sommets des Alpes du sud. Cette situation a entraîné des minima record de taux d’humidité des sols comme de débit des cours d’eau (voire de nombreux assecs).

Pas étonnant que les restrictions de prélèvement s’enchaînent sans discontinuer ! Au 22 août, étaient dénombrés dans les deux départements alpins :

  • Dix bassins en alerte : Durance aval, aval du haut Drac, Verdon, Var, Bléone, Jabron, Sasse, Vanson, Jabron, Drac aval.
  • Deux bassins en alerte renforcée : Durance amont, Artuby-Jabron.
  • Neufs bassins en crise : Asse, Colostre, Haut-Calavon, Largue, Lauzon, Nesque, Buëch (dont Méouge), Eygues & Oule, Drac (partie Amont).

 

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les premiers bassins sont passés en crise dès fin juillet, soit plus de 15 jours en avance par rapport aux années sèches de référence. Pour les Hautes-Alpes, l’activation de ce niveau de restriction est une première. Cette sécheresse qui a démarré ce printemps a placé une grande partie de l’Est de la France dans une situation pire que la grande sécheresse de 1976 d’un point de vue hydrologique comme l’a montré récemment l’analyse de l’Inrae .

Un partage de la ressource difficile

Dans les Hautes-Alpes, le nouveau Plan cadre sècheresse, arrêté le 16 août 2022, n’a pas changé la logique de gestion antérieure. Face à cette situation de sécheresse exceptionnelle, la majorité des gestionnaires de l’irrigation ont adapté dans l’urgence leur fonctionnement afin de garantir un partage équilibré de l’eau.

Par exemple, afin d’éviter une pénurie, les prélèvements sur le Buëch aval ont été réduits dès la mi-juin de 50 % à 60 % environ, avec une priorité faite par chaque exploitant ou certaines cultures (cultures de semences et l’arboriculture) souvent au détriment des cultures fourragères.

Sur beaucoup d’autres secteurs, dans le Champsaur notamment, les cultures fourragères ont pu être arrosées mais jusqu’à la seconde coupe seulement et avec des réductions de prélèvements également souvent supérieures aux règles préfectorales (20 % lors du passage en alerte, 40 % lors du passage en alerte renforcée). Sur les secteurs les plus en amont, beaucoup de canaux gravitaires ont fermé leurs prises d’eau faute de débit suffisant.

À partir de début août, certaines ASA structurantes ne dérivaient plus d’eau, y compris pour alimenter la ville de Gap en eau à potabiliser. Le niveau des retenues est égal ment à leur minimum (côte très basse à Serre-Ponçon), voire à sec (Lazer).

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, le nouveau Plan cadre sécheresse adopté le 21 juin dernier (en même temps que les premières restrictions) a quelque peu modifié les restrictions et éventuelles dérogations. Par exemple, alors que les productions de semences étaient auparavant exemptées de restriction en alerte et alerte renforcée, ce n’est maintenant qu’au stade de crise qu’une dérogation est accordée.

Les dérogations se demandaient au cas par cas, les règles du jeu sont maintenant inscrites dans le Plan cadre départemental : si la culture est dans la liste dérogatoire, elle peut être irriguée en crise avec une réduction de 50 % des volumes, sinon c’est l’arrêt pur et simple des irrigations. « La liste de cultures dérogatoires a constitué le point d’achoppement principal des négociations du plan cadre au printemps dernier. Il faut se rappeler qu’au stade de crise, l’objectif est de maintenir les usages prioritaires comme l’eau potable, la lutte incendie et les milieux aquatiques. Nous avons réussi à inscrire certaines productions mais cela crée évidemment des frustrations. Malheureusement, on a été touché de plein fouet cette année et de manière très intense. Certains demandent déjà à rediscuter cette liste cet hiver avec les services de l’État lors du bilan », explique Julie Lebeau, chargée de mission gestion quantitative à la chambre d’agricultures des Alpes-de-Haute-Provence.

Des différences de traitement ont également été mises à jour sur réseaux couvrant plusieurs bassins comme ceux gérés par la Société du canal de Provence ou des canaux en Durance. Dans certains arrêtés, le terme de « ressource maîtrisée » a disparu. La distorsion entre des communes dans le Haut Verdon qui subissent des restrictions et celles sur le littoral Varois qui n’ont pas de restrictions d’usages est pointée du doigt. L’application de restrictions claires sur des ouvrages multiusages est complexe d’autant plus que ces réseaux ont été fortement sollicités pour fournir des compléments en eau potable à des communes dont les ressources locales sont menacées ou taries.

Au niveau Durancien, sous l’impulsion du Syndicat mixte de gestion et d’aménagement de la Durance, l’ensemble des usagers et professionnels font un point régulier de situation, et le constat est sans appel : tous les usages sont en difficulté.

secheresse inrae

Des élevages en souffrance

Ainsi, l’agriculture est maintenant confrontée à l’accroissement des problématiques, telles que l’abreuvement des animaux ou le dépérissement de plantes méditerranéennes, normalement non irrigués et bien adaptées au contexte pédoclimatique.

L’impossibilité d’arroser prairies et fourrages dans certains bassins est critique, d’autant plus que les ressources dans les alpages sont moindres que les années précédentes et que les troupeaux risquent de redescendre précocement. Il est encore trop tôt pour dresser des bilans fourragers avec les éleveurs, mais les stocks hivernaux risquent d’être consommés par les affourragements anticipés lors des descentes d’alpage. On peut également espérer une solidarité avec des secteurs moins touchés et qui pourraient fournir du foin, mais la sècheresse est générale en France et l’offre risque d’être très faible.

Les épisodes pluvieux des derniers jours et la baisse des températures ont amélioré sensiblement la situation. À une échelle spatiale et temporaire plus grande, Météo France prévoit d’août à octobre :

  • Une période plus chaude que la normale (60 % de probabilité).
  • Une période plus sèche que la normale pour le quart Nord-Ouest de la France et une bonne partie de l’Europe (50 % de probabilité). Pour le reste dont le Sud-Est, aucun scénario n’est privilégié à ce stade.

Ces tendances sont élaborées pour de grandes régions et ne peuvent tenir compte des conditions locales. L’automne reste une saison difficile à prédire au niveau météorologique.

Lebeau & F. Guyot, CA 04

Moynier, V. Gouy, CA05

Espace Alpin 417
L’Espace Alpin est le journal agricole et rural des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Ce journal bimensuel est disponible sur abonnement sur lespace-alpin.fr

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